Poker Omaha à Deauville
Vendredi dernier s'est déroulé le PLO 300 dans le cadre du World Poker Tour National de Deauville.
Avant d'en dire plus, je me réjouis de voir que grâce au WPT, Deauville conserve un statut de place internationale de poker, même si on est loin de l'EPT de janvier qui a fait vibrer la station balnéaire normande chaque année jusqu'en 2015. Deauville reste un casino d'exception, et la grande salle dans laquelle on peut loger un Zeppelin abrite les tournois dans une ambiance électrique que j'adore. On retrouve les mêmes équipes Barrière aux manettes, qui ont forgé un vrai savoir-faire après dix ans d'EPT, tant dans l'arbitrage que dans la gestion du matériel et des équipes. Bise à une Lucile rayonnante.
Je m'étais inscrit à ce PLO 300 programmé vendredi à 18h, prévu en une seule session. Jour facile, horaire facile, buy-in facile, durée facile… j'aurais commis une erreur tactique de ne pas y aller. J'ai donc sacrifié ma partie privée parisienne du vendredi soir pour une ballade normande.
Arrivé sur place, on me met le bracelet d'usage "Deauville Poker". Me voilà embastillé, mais j'aime ça.
"Le PLO, c'est ton jeu, ça !"
Au détour d'une table je croise deux vieux briscards en la personne de Paul Testud et Angelo (pas Tommy, Besnainou), toujours fidèles au poste, toujours dans le TOP 50 français. Paul qui me dit, avec son inimitable accent : "Le PLO, c'est ton jeu, ça !"
Ce qui est drôle avec ces joueurs d'anthologie qui ont connu tous les tournois du monde ou presque, c'est qu'on déroule un fil fait de souvenirs et d'espoirs à chaque fois qu'on se rencontre. Un joueur de poker n'oublie rien – ou presque. Je me souviens chaque coup que Paul a gagné contre moi, comme à Baden en 2005 (Stud7) ou au Gaillon en 2009 (PLO). Ou Angelo, quand il relance en bluff avec deux paires minables en 2011, et qu'il me fait passer, en table finale (PLO). C'est amusant mais je me souviens moins des coups que j'ai gagnés contre eux. Aussi quand un joueur me dit "Je te revaudrais ça !", je ne vois pas toujours à quoi il fait allusion !
La structure a du bon et du mauvais. Le bon : une profondeur de 30.000 pour un premier niveau à 50-100, une possibilité de re-entry jusqu'à la fin du 4e niveau, et une progression des paliers plus que correcte. Le mauvais : 25 minutes par palier. Somme toute un bon service pour mes 300 euros.
Il y a eu une cinquantaine d'inscrits et une dizaine de re-entries. Une gagne à 5.000 et quelques, et 6 places payées, la 6e étant à 1.000 et quelques. Une bonne cote donc, en tout cas de mon point de vue. Et la présence de quelques têtes connues, comme Jan Boubli par exemple (le premier champion EPT français, c'était en 2005).
Je ne vais pas détailler tout mon cheminement mais plutôt l'ambiance générale. Dans l'ensemble j'ai touché des mains correctes, mais des améliorations moyennes qui m'ont poussé plusieurs fois à envoyer le pot pour bluff. Une huitaine de bluffs d'arrachage en tout sur des turns ou des rivers menaçantes, doublettes ou débloquantes quinte ou couleur. Deux fois payé, mais le reste passe, et ça m'a sauvé la mise.
Le tournoi se polarise méchamment
Le passage de deux tables à la table finale de 9 joueurs a été assez douloureux. J'étais en-dessous de la moyenne, mais j'avais un avantage énorme : j'étais à la table la plus pauvre – environ 40% des jetons, contre 60 pour l'autre. Sur cette dernière, deux gros tapis faisaient la loi. Et comme au moins l'un des deux n'avait pas lu Poker Harrington (tome 2, les fins de tournois), il y a eu un clash à tapis entre eux. Résultat : un éliminé, et un tapis qui était déjà très gros, qui devient ENORME. A lui tout seul, le joueur détenait 40% des jetons alors qu'il restait encore 12 joueurs !
L'expérience et David Sklansky m'ont appris à faire valoir la stratégie dans les tournois, plus encore que la tactique. C'est le genre de réflexe qui vient avec la pratique intensive : prendre de la hauteur. C'est ce que j'ai fait à partir de cet instant. Je me suis souvenu de ce PLO aux EFOP 2007, où la bulle avait duré un temps infini… deux heures à peu près. La patience donne des ailes. Le PLO et son absence d'antes permettent de survoler le tournoi sans trop de dommage même avec un petit tapis, et de laisser les inconscients partir au combat.
C'est amusant, mais j'ai pu maintes fois le vérifier : alors qu'en Hold'em no-limit, les joueurs ont dans l'ensemble considérablement progressé depuis 10 ans, ce n'est absolument pas le cas en Omaha. Certes, vous trouverez des joueurs qui ont bien affiné leur jeu, mais ils sont rares. J'en ai juste repéré deux à ma table, sur huit. Les autres commettaient les mêmes erreurs que lors des tournois de PLO, à l'ACF à la fin des années 1990 : surestimation des doubles-paires, oubli du critère de position, oubli du critère de profondeur de tapis adverse, manque d'agressivité en fin de parole, manque de patience…
Un exemple : le jeune joueur qui s'est retrouvé doté des 40% de jetons aurait dû en toute logique raréfier ses engagements plutôt que de continuer les attaques intensives. Au lieu de cela, il s'est senti investi d'un rôle de nettoyeur qui profitait d'abord à ses adversaires : il leur faisait gagner des échelons dans les gains sans qu'ils prennent le moindre risque (je vous renvoie aux diverses études sur les ICM, dont Poker Sit&Go, écrit par Jupiter). Trop bien ! S'il a éliminé quelques joueurs, il a aussi permis à d'autres de se remettre en selle, jusqu'à atteindre des profondeurs capables de le menacer plus tard.
"La seule manière d’avancer dans un tournoi [de PLO] où vous flambez est d’avoir beaucoup de chance, et au poker vous ne devriez jamais compter sur la chance." (Sam Farha, Poker Omaha).
Une table finale atypique
Arrivé en table finale, il a maintenu son attitude. Résultat : j'ai doublé mon tapis grâce à lui par deux fois. La première quand il avait KKxx et moi AAxx. L'autre quand, avec AKJT bicolore, j'ai relancé préflop et il a payé, puis éjecté un troisième larron au flop. Je termine couleur max, et je triple. J'adore ces joueurs qui vous livrent des jetons et qui éliminent vos adversaires en fin de tournoi. Attention : il n'y a rien de personnel, car je l'ai trouvé tout à fait sympathique !
Arrivé à huit joueurs, donc à la fausse bulle, le plus petit tapis (un agressif) a proposé un deal pour assurer un remboursement aux deux non-classés. Devant l'absence de réaction des adversaires, il a renouvelé la proposition. Forte intervention du floor : "Si vous recommencez, je vous disqualifie du tournoi !" J'ai appris alors qu'en casino, ce genre de deals était totalement prohibé et que le floor, à ses dires, risquait sa licence si la police des jeux tombait sur cette scène en visionnant les vidéos de contrôle.
La bulle a été dantesque. Le plus petit tapis a touché brelan d'As au flop. L'adversaire avait… rien. Les turns et river sont des trèfles… mais il avait deux trèfles par accident dans sa main. Couleur bat brelan d'As, bulle éclatée, et un joueur qui parle aux oiseaux pendant cinq minutes. Moi ça m'arrangeait bien, car avec mon tapis guère meilleur, j'étais maintenant dans les points, soit 1.000 euros garantis.
La suite a été le chapelet habituel des coups avec gestion au plus près. Trouver le bon curseur entre attaque frontale et économie de mouvement. Refuser d'entrer dans un combat déjà engagé par d'autres. Profiter de la position pour voler les blinds avec une main défendable, etc. La routine.
Le très gros tapis s'est maintenu à sa profondeur malgré des attaques multiples, et un autre s'est renforcé. Est arrivé un moment où la situation ressemblait à 40%-30%-10%-10%-5%-5%, à peu de chose près. Rester patient. Continuer à croire en ses chances. Jouer chaque coup après l'autre. Evaluer sa profondeur. Au niveau 1.000-2.000, je trouve une paire d'As bien accompagnée, j'attaque, je suis payé, je gagne avec deux paires max. Puis le travail de lutte contre l'érosion reprend, et un joueur aux abois se fait éliminer par le deuxième tapis. Prochain paiement : la 5e place à 1.360€.
Dernier galop
J'ai environ 100K, un adversaire aussi, les trois autres étant nettement plus profonds. Et je reçois AAT9 dont AT à pique, petit blind. Tout le monde passe. Je réfléchis. Le BB est le deuxième tapis, les blinds sont 1.500-3.000, j'ai un M de 22, c'est encore profond. Mais d'un autre côté, je dois prendre les bonnes occasions pour me renforcer face aux ultra-profonds et retrouver une fear equity ainsi qu'une bonne capacité de survie. Si j'envoie le pot à 7.500, il ne peut payer qu'avec une main très bonne. Etant second en jetons, il doit éviter les pertes inutiles de jetons.
Donc je relance à la hauteur du pot. Le BB réfléchit, puis sur-relance à la hauteur du pot. Ca devient dangereux, mais vu ma main, je dois être encore devant. Je paie pour cette raison, mais aussi parce que je serai premier à parler au flop, donc le premier à attaquer s'il me convient. Arrive ce flop inattendu :
3h6s7c
Rainbow, petit, presque un flop idéal pour moi. J'attaque à la hauteur du pot (mon tapis), persuadé que je vais faire passer le BB.
Mais il paie illico et abat KK45 bicolore. Wow…
Un 6 à la turn me redonne un (petit) espoir, balayé par une river quelconque. Exit.
Il est deux heures. Pas si déçu, j'assume, et je médite sur ce hasard qui vous donne un flop favorable qui, en fait, offre la victoire directe à l'adversaire. J'en ai tellement vu depuis toutes ces années…
J'encaisse mon gain, puis je file au cash-game voir où en est mon vieux complice Jupiter, éliminé précocément. Un signe d'amitié, puis je file au blackjack. Il faut savoir que dans la plupart des casinos français, depuis les décrets de 2010, on pratique un blackjack nettement plus libéral qu'avant… pour le joueur qui sait l'exploiter en optimal. Je ne m'étendrai pas sur le sujet, si ce n'est pour préciser que paradoxalement, cela profite aux casinos car 90% des joueurs de black n'y entendent rien et font encore plus n'importe quoi qu'avant.
Jupiter me rejoint un peu plus tard, et nous jouons les trois derniers coups de black de la soirée (après quoi les croupiers plient les cannes). J'arrondis mon gain de 50 euros, pour le fun. Même ce peu d'argent pris au casino est toujours d'une infinie douceur.
Le PLO 300 du WSOP National Circuit du Cercle Clichy ne m'avait pas porté chance en novembre. Je me suis refait à Deauville. Hasta la vista, l'appel des "hommes qui courent contre le vent" (signification indienne de la tribu Omaha) sera toujours entendu par votre serviteur. D'autres combats m'attendent sur les tapis verts.