Tour de chauffe à Vegas
Je suis descendu au Four Queens, Downtown, en face du Binion's et à côté du Golden Nugget. Tohu-bohu garanti tous les soirs jusqu'à minuit avec les animations de la rue piétonne bordée de deux rangées de casinos et les light shows, tous les quart d'heure, de la Fremont Street Expérience (je vous la conseille).
Le premier jour, déchiré par le décalage horaire, je fais quand même ma conférence avec Mike Caro, en anglais, pour le compte de la WPA, World Poker Association, dont je suis adhérent. J'ai été applaudi devant l'écran géant. J'ai bien aimé la superbe salle du Rio et les spectateurs qui sont venus me voir après en me disant : « Mais c'est drôlement bien, votre animation vidéo pour montrer les coups, et les faire varier ! » Eh bien, je leur réponds, ça a été créé par l'Ecole Française de Poker, ça s'appelle les Hold'em Master Class et ce sera bientôt en anglais ! Cocktail sympa avec Mike Caro, le pape de la pédagogie poker, auteur du « Book of Tells ». Je voulais qu'il fasse au moins une master class pour l'école, il est pour, mais il doit repartir tout de suite pour d'autres rendez-vous. Tant pis, on verra ça plus tard...
Le deuxième jour, le jet lag m'a cassé, donc je me suis réveillé à 6h du matin, frais et dispos. Façon de parler... Je me dis qu'il y avait peut-être une ou deux tables encore en marche au Binion's, qui a abrité les WSOP de 1970 à 2003, alors j'y descends faire un tour. Et effectivement, il reste une table avec des survivants de la nuit, traits tirés, accrochés à leurs jetons. Je flaire la bonne affaire : un joueur qui prolonge sa session est toujours plus ou moins tilté, il ne sait déjà plus quand il va devoir partir, sauf quand il aura perdu ce qui lui reste de jetons.
La table est à 1-3 dollars de blinds (je sais, c'est curieux) avec buy-in de départ de 100 à 300. Evidemment je prends 300, pour me mettre au niveau des deux plus gros tapis. On est 7 en tout, je me dis qu'avec de l'opportunisme je vais pouvoir tirer mon épingle du jeu.
Dès le premier coup le diapason est donné : K-K. Je déteste démarrer une session (partie, tournoi) avec une grosse main. Parce que je ne suis pas encore chaud ! Je relance préflop puis je la sous-joue, pas encore dans le bain, et je remporte un pot de 40 dollars. Il y avait un As au tableau, j'étais prêt à jeter de toute façon.
Ensuite, j'observe les joueurs longuement et je ne trouve aucune main ni situation exploitable. Un Mexicain assis à ma droite aime bien les grosses relances préflop, genre 18 dollars. Les autres jouent plus mous préflop. Je le sens bluffer à un moment donné, il trépigne, il envoie 20 dollars. Je le relance immédiatement à 50. Il me regarde, comme apeuré. Et il jette. Dès lors il sait qu'il doit se calmer.
En face, un Noir plaisante en permanence. Il raconte qu'il a été basketteur et qu'il a eu un problème de genou (comme Doyle Brunson, alors ?). Il se montre conciliant et sympa avec tout le monde. Je connais ce genre d'individus. Car quand arrive le coup qui va vous casser, il ne va pas vous épargner. Mais vous, avant ce coup-là, vous lui aurez gentiment éviter quelques pertes trop dures en modérant les relances.
Ca ne rate pas : il attaque à all-in sur le flop Q-Q-8, après avoir relancé préflop, et trouve deux joueurs. Je jette tout de suite A-J, mais le troisième paie. Evidemment il a K-Q et notre ami gouailleur a J-10 pour un tirage ventral... qui ne vient pas. Il survit au coup car il couvrait l'adversaire, puis il se lève et quitte la table. On l'entend qui laisse tomber ses jetons à proximité de la « cage » (la caisse). Mes adversaires sont morts de rire.
Je prends le tapis d'un joueur qui jouait trop large et qui croyait que je bluffais, alors que j'avais trouvé mon brelan au flop.
Au bout de deux heures, j'ai 380 et trois autres joueurs sont parmi nous, mais nous sommes toujours 7. A ma droite, un grand à casquette, dans la cinquantaine, aligne les quintes à la turn. Il en fait trois en 6 coups. Heureusement, je suis hors du carnage. Je resserre considérablement mon jeu et je suis celui qui entre le moins dans les coups (une fois sur 4 ou 5 environ).
A ma gauche, un joueur d'une soixantaine d'années, cheveux argentés, passe son temps à faire du yo-yo, et quand le yo-yo casse, il se lève et revient avec 100 dollars en chips de 5. Il prend le tapis d'un joueur asiatique à sa gauche, qui se perdait dans le montant des blinds depuis une demi-heure. Complètement tilté, incapable de construire un coup intelligent, il était devenu vulnérable et restait à la table malgré les objurgations de sa femme assise à côté de lui. Il a payé son tapis en ayant la paire max au flop, alors que mon voisin de gauche avait déjà deux petites paires, sur le flop K-8-7.
J'ai aussitôt vu dans ce voisin une manne pour mon tapis. J'ai attendu que ce coup arrive... et il a fini par arriver. Je suis gros blind, et mon voisin relance à 12. Tout le monde passe et je paie la relance avec la formidable main 10-4 à pique (je sais, j'ai fait une erreur, j'aurais dû sur-relancer !). Arrive le flop : J-J-6. Rien pour moi, je checke. Il ouvre à 24. Je réfléchis longuement, et je décide de lui jouer le-gars-qui-a-le-brelan-et-qui-fait-comme-s'il-ne-l'avait-pas. Autrement dit, j'hésite, puis je pousse doucement mes jetons pour suivre. Turn : un 5. Il ouvre à 45. Même cinéma. Je joue à fond sur ma seule fold equity, vu que je n'ai pas l'ombre d'un tirage mais je le vois avec une main comme A-Q ou A-K. Cette fois, pour confirmer mon brelan, je le relance à 90. Il réfléchit, hésite, tripote ses cartes. Et passe.
Effectivement, c'était impayable sans un Valet en main. Et comme il avait ouvert à 45, je savais qu'il n'avait pas ce Valet... sinon il aurait ouvert à 30 maximum, connaissant le joueur.
Je monte ainsi à 450 et il est 8h30 environ. Puis m'arrive un coup très mauvais. Le gars à casquette profite de sa mainmise sur la table, assurée par ses coups de chance, pour bluffer un coup - c'est du moins ce que je crois. J'ai K-10 au petit blind, je paie sa relance préflop (on est 5). Arrive le flop : 10-8-3. J'attaque à 25, mais il relance à 60. Je me dis qu'il essaie de me bluffer, et là je refais le cinéma : j'hésite puis je paie. Arrive la turn, un 6, et j'attaque le coup avec 60. Il paie. Cette fois, je sais qu'il a du jeu. Il a un tapis de 700 environ, mais ce n'est pas une raison pour payer l'impayable. La river est un autre 8. J'attaque à 100, mais il me relance à 200 (100 de mieux). Je n'ai pas su voir le gros jeu et j'ai payé. Il abat 10-8. J'étais battu dès le flop ! J'ai mal lu, j'ai mal senti, j'ai mal joué.
Je me retrouve à genoux, avec 120 devant moi, après avoir multiplié les bons coups, posément, l'un après l'autre ! Tout est à refaire.
Cinq minutes après, je double face au Chicano qui a relancé préflop avec A-Q. Moi, avec paire de 10, je le relance all-in et il paie (il a un tapis de 400 environ). Le tableau n'arrange personne et par ici les petits jetons.
Dix minutes plus tard, toujours contre le Chicano, je trouve A-J au flop est je relance. Il avait seulement payé le gros blind. Il paie. Arrive le flop : J-7-6. Il checke, j'ouvre, il paie. La turn : 6 qui double. Il checke, j'ouvre, il paie. La dernière est le 2 de trèfle (véridique !) et il checke encore. J'ouvre encore, à 100, et il hésite. Je me dis qu'il va m'envoyer le tapis. Mais non, il hésite vraiment à me payer. Il finit par payer. J'abats ma paire max-kicker max, et il jette. Qu'avait-il ? Je l'ignore. Peut-être 10-10, ou As-Q... Chose possible, car ce joueur invraisemblable a déjà payé 3 fois avec hauteur As... dont une qui a fonctionné, laissant son adversaire sur le flanc.
En un quart d'heure, j'ai refait mon handicap, et même bien plus car j'ai maintenant 580 devant moi. Je me dis qu'il est temps d'arrêter les frais, et je prononce la phrase maximum, « Sit open ». Je me lève pour encaisser mon petit bénéfice de 280, et je ressors de là. Dehors il fait déjà très chaud, dans les 35°C, il est 9h20, et je prends mon petit déjeuner au Starbucks du Golden Nugget, qui a une terrasse sur Fremont Street. De l'autre côté de la rue piétonne, les deux filles habillées en Antillaises, très sexy, distribuent des bonds de promo aux passants pour les faire entrer dans leur casino.
Des clients fatigués ressortent du club de lap dance qui a pris la place les deux petits casinos historiques dont les enseignes sont restées, le Golden Goose et le Glitter Gulch. L'un d'entre eux reprend haleine, comme s'il avait été oppressé dans un réduit, car pendant 20 minutes une des danseuses a été collée à lui tout en se tortillant, sous divers angles de sa personne. C'est la magie de la « lap dance » du « gentlemen club ».
Sur le Strip nord, entre Stratosphère et Fremont, un des ces établissements a trouvé le moyen de faire une pub efficace et à peu de frais. Il a installé deux balançoires devant son entrée et les danseuses se relaient à partir de 17h, à deux pas des voitures qui passent. Il va sans dire qu'elles sont en minijupes et en "top" sexy. De l'autre côté du Strip, c'est le quartier des chapelles à mariages éclair. A 600 kilomètres au nord, c'est Reno, la ville spécialisée dans les divorces. Bienvenue à Vegas, les gars !