Curiosités pokériennes à Las Vegas
Me revoilà de Las Vegas, après deux semaines de pérégrinations sous un soleil de plomb « as usual » - sauf deux jours où, pour la première fois de ma vie, j'ai vu cette ville de dingues sous la pluie ! Avec un ciel noire digne de Maubeuge en novembre (que les habitants de Maubeuge ne m'en veuillent pas, il s'agit juste d'un symbole - car inversement, on a rarement vu un soleil de 48° à Maubeuge, alors qu'à Vegas, oui !)
J'ai participé à deux WSOP... Vous allez me dire, si tu restes 15 jours dans la ville où tout le monde veut aller et si c'est pour y jouer seulement deux tournois, revoie ta copie, mon vieux ! En fait j'en suis moi-même frustré mais c'était prévu à l'avance. La première semaine a été consacrée à des contacts avec des pros pour le compte de l'Ecole Francaise de Poker (suite à mon cher Mike Caro, en prolongement de mon dernier article).
Donc vu cet emploi du temps de ministre, impossible de trouver de quoi glisser un WSOP, d'autant que le plus court dure 3 jours d'affilée. Mais à la place, j'ai eu des rencontres extraordinaires avec Sklansky, McEvoy, Bill Chen, Arnold Snyder, Greg Raymer, Rémy Biechel... qui adhèrent à 100% à l'Ecole ! J'aurai d'ailleurs de (très) grandes nouvelles à vous annoncer à ce sujet dans quelques mois. Patience !
En attendant, j'écris cet article dans l'aéroport Saint-Paul, non pas de Vence mais de Minneapolis, ce qui est un tantinet plus loin... troisième lac à gauche - la région est un rien humide. Neuf heures de transfert me donnent tout le temps pour ce faire et c'est tant mieux.
Alors revenons un peu sur mes exploits. J'ai donc participé à deux WSOP, le n°12 (Hold'em limit à $1.500) et le n°13 (Hold'em no-limit à $2.500). Dans le premier, 880 participants et je termine 550e. Dans le deuxième, 1.395 participants et je termine 1.050e. Rangeons pudiquement ces piètres performances dans le grenier des horreurs et recouvrons-les de bad beats.
Il n'en reste pas moins que je trouve les WSOP de cette année véritablement bien organisées par le Rio/Harrah's : on ne fait plus la queue aux guichets d'inscription (inscriptions d'avance, remboursement possible, 16 guichets ouverts 24/24), les satellites sont relégués dans une salle à part, les grandes gueules sont sanctionnées, la grande salle de 250 tables est découpée en zones de couleur.. bref, de grand efforts on été faits et tous les joueurs les ont salués.
A part mes deux WSOP, j'ai aussi participé à un tournoi à $150 au Caesar's avec l'équipe de l'EFP... mais sans en tirer de cash. Tenez-vous bien : sur les $150 de droit d'entrée, le Caesar's retient... $30 ! soit 20%... Ca laisse rêveur... même si la salle, l'organisation et le jeu y sont de qualité.
Après les mauvaises nouvelles, passons aux bonnes. J'ai fait 4 sessions de cash game et je les ai toutes gagnées. Ceux qui croient que je joue aux grosses tables se trompent, en fait j'ai joué aux caves $200 ou $300, avec blinds 1-2 ou 1-3 (en France, c'est 250 et 500, jamais plus). En fin de session, on arrive à des différences moyennes de $400 environ. Je sais, ça fait minable, mais je crois plus aux tournois qu'aux cash games en ce qui me concerne, donc je risque moins en cash.
C'est ainsi que j'ai joué deux fois au Binion's, une fois au Flamingo et une fois au Golden Nugget. Ce ne sont pas des grands casinos, mais le Bellagio et le Caesars étaient pris d'assaut, avec des listes d'attente longues comme les bad beats infligés par Gus Hansen.
Je ne vais pas revenir sur les détails de ces parties. Sinon que j'ai vite compris, comme dans les cercles français qui accueillent beaucoup de joueurs nouveaux en permanence, qu'il faut profiler les joueurs avant de les attaquer - ou de ne pas les attaquer. Et une image façonnée heure après heure peut être incroyablement rentable en fin de session. Le reste coule de source, sauf erreurs tactiques de base.
Non, je vais plutôt revenir sur quelques coups que j'ai vécus et qui sont des curiosités que je veux partager avec vous.
Coup n°1 : je gagne avec hauteur 6 !
Flamingo, table $1-$2. A ma droite, une joueuse d'une cinquantaine d'années qui avoine la table. Elle se méfie de moi depuis que je lui ai pris un gros pot. J'ai environ $400, elle a $200. Arrive A-6 et elle est au bouton. Elle relance préflop à $12, je paie, nous sommes deux. Arrive le flop : A-5-2. J'attaque à $25, elle paie. La turn : un 5. Je veux qu'elle parte alors j'envoie $50. Elle paie. Je me vois battu au kicker... La river : un 4. Je me doute bien qu'elle n'a pas de 3. Mais si j'envoie cher, elle va peut-être passer avec son A-K probable. J'envoie donc mon tapis. Et elle paie ! J'abats ma main, et elle abat... A-4 ! Ce que c'est que d'avoir une image de bluffeur, du coup elle me croit sur un arrachage...
Le croupier commence à partager le pot, mais je signale que je veux examiner les cartes de plus près. Je fais remarquer qu'on a elle et moi deux paires As-5, et que sa paire de 4 ne compte pas. Du coup, ma cinquième carte est mon 6, et sa cinquième est son 4 ! Donc je gagne avec hauteur 6 ! Ensuite elle a repris une cave mais elle était tiltée, comme on peut le deviner.
Coup n°2 : des outs qui rechignent
Binion's, table $1-$2. Table avec surtout des joueurs âgés assez lisibles dans l'ensemble. Un jeune avoine la table de temps en temps. Je fais de même. A un moment donné, j'ai $250 et je me retrouve gros blind avec 6-2 de trèfle. Un vétéran, avec $120, relance à $7. Tout le monde passe... Je suis le dernier à parler, et je me dis que si je paie, il ne me verra de toute façon pas sur cette main... et j'adore les mains à surprise. Donc je paie.
Le flop :
5 de trèfle - 3 de trèfle - 2 de pique.
Un flop intéessant, qui me donne tirage à couleur + à quinte ventrale + à quinte flush + les 2 pour un brelan + les 6 pour deux paires. Je compte mes outs, il y en a 9 + 3 + 2 + 3, soit 17... Soit une chance de toucher égale à environ 60%. Comme je le vois sur A-x ou éventuellement une paire au moins moyenne, tous mes outs sont bons.
Maintenant question : est-ce que je fais un check-raise ou un block-bet ? Finalement, vu la faiblesse apparente du flop, j'opte pour le check-raise. Je tapote donc la table, il ouvre à $15, et j'envoie mon tapis. Il réfléchit... puis finit par payer. Il retourne la paire d'As, dont l'As de trèfle. Quand je vois ça, je me dis qu'il a eu tort de payer car je pouvais avoir n'importe quel brelan. Mais le sort en est jeté... La turn est un 3 qui double, la river est un 8 et le François perd la moitié de son tapis.
J'ai soumis la situation du flop à un calculateur et il a trouvé que j'étais devant à 53%, avec 1% d'égalité :
C'est bien ce qui me semblait, quand il a abattu les As je me suis senti soulagé, et j'avais raison car j'étais bien favori. Mais la fin du coup m'a donné tort... Les coups suivants, plus conformes aux cotes, m'ont permis de remonter puis de dégager $200 de gain net.
Coup n°3 : une erreur qui coûte cher
Binion's, table $1-$3. Je viens de perdre mon tapis de $150 avec K-K payé par J-10, qui trouve ses deux paires au tableau. La table où je me trouve est tout à fait hétéroclite. Mais je remarque surtout un joueur, que j'appellerai Gary, qui joue au yoyo avec son tapis au fil de ses relances puissantes.
Je suis au cut-off (avant-bouton) et Gary, qui est UTG, relance à $13. Son voisin de gauche paie. Je lève mes cartes : K-K, encore une fois ! Cette fois je relance direct à tapis, à $130, parce que je suis persuadé que Gary, au moins lui, va payer. Alors non seulement il paie, mais en plus il envoie son propre tapis, d'environ $300 ! De toute évidence, ce garçon ignore tout du « collaborative play ». Il reste que le suiveur paie lui aussi avec son tapis, à hauteur de $180.
Arrive le tableau :
10-8-6-3
Eh oui, vous avez remarqué ? Il manque la river ! Pourquoi ? Parce qu'au moment de la retourner, le donneur s'aperçoit soudain qu'il y a 4 cartes brûlées au lieu de 3 ! Une discussion passionnée s'engage à la table, puis on appelle le floorman. Comme il doit le faire, il demande une à une les actions qu'a faites le donneur. Il apparaît qu'apparemment, deux cartes étaient collées.
Bref, le floorman opte pour une carte, le donneur s'apprête à la retourner, et moi qui suis juste à sa gauche je vois qu'il s'agit d'un 4, a priori inoffensif pour moi (tout le monde a bien compris que la carte que je ne veux pas voir est l'As !) Mais le floorman arrête son geste, et recommence la procédure. Il s'aperçoit que la carte qui doit être la river est celle d'à-côté, et que le fameux 4 est en fait la carte brûlée... Décision est prise dans ce sens, le donneur retourne la river... c'est un As ! Gary retourne A-J, le troisième larron jette ses cartes, et j'y laisse mon tapis.
Ceux qui me connaissent savent que même dans les pires moments, je garde mon calme. C'est aussi ce que j'ai fait ici. Mais pour une autre raison : ce Gary ne faisait que conserver momentanément ses jetons. Deux heures après, je quittais le Binion's avec $550.
Coup incroyable n°4 : abandon en fin de coup
Binion's, table $1-$2. Ce coup, auquel je n'ai pas participé, oppose un vieux joueur édenté mais sympathique, Paul (tapis $120), à un joueur agressif assis à ma droite, Frankie (tapis $450). Frankie a la position sur Paul. Prélop, Paul relance à $6 et Frankie paie.
Voici le flop :
10-10-4
Paul ouvre à $12 et Frankie relance à $25. Paul paie.
La turn : J
Cette fois, Paul checke, Frankie ouvre à $25 encore, et Paul paie.
Enfin, la river : 8
Et là, il se passe une chose que je n'ai jamais vue de ma vie : Paul jette ses cartes ! Alors qu'il aurait pu simplement checker pour espérer un abattage gagnant voire un partage, chose possible chez un Frankie qui sent son adversaire engagé au point de payer même avec une très mauvaise main... Frankie gagne sans abattre, sans combattre. Alors que je reste persuadé qu'il n'avait pas 10 ! C'est vraiment un coup très curieux.
Je reviendrai sur ce séjour à Vegas pour vous en dire encore de belles...