Dans le sillage du Joueur

Publié le par jokerdeluxe

A la barre de mon Optimist, je scrute l’horizon. Les copains sont en grappe derrière moi, éparpillés sur un petit hectare de mer. La bouée est devant, à vingt mètres, et je la passe en tête. Je gagne ma première régate à 11 ans, à Courseulles-sur-mer.

 

Mais je n’irai guère plus loin. Elevé au bord de la mer, je seconderai mon père sur son pêche-promenade quand il faudra barrer entre La Tranche et l’Ile de Ré, mare aux canards de cinquante kilomètres de large. Ce qui n’exclut pas les coups de tabac : par deux fois, un grain est brutalement monté de l’horizon, juste le temps de remballer le panier à provision et de virer de bord, amer en tête, plein nord vers Jard-sur-mer. Trop tard, le grain a envahi le secteur en cinq minutes, et la mer s’est mise à friser et à se creuser drôlement.

 

Rien à voir avec les quarantièmes rugissants des courses au large. J’ai vu le film « Tabarly », et je n’aurai qu’un mot : allez le voir dare-dare. Vous y apprendrez des tas de choses pour mieux jouer au poker, même si vous n’aimez pas les embruns, les voiles qui claquent, les étais qui sifflent, les rouleaux qui vous prennent de côté, le clapot qui tape et retape dans la carène.

 

Je suis de la génération qui a vénéré Tabarly, ce type qui jetait les micros à peine monté à bord et qui mâchouillait trois mots aux journalistes une fois arrivé à l’autre bout de l’océan, tellement tôt que personne ne l’y attendait. C’était un autre temps où, quand le marin partait, on n’en entendait plus parler tant qu’il n’était pas arrivé. Un autre temps où :

 

- Seul maître à bord, vous décidez de votre destin

 

- Vous seul prenez la décision de risquer la route au nord ou de sécuriser au sud

 

- En fin de course, vous êtes en régate, travail de fourmi contre le dernier adversaire avant la victoire finale

 

- Parfois la chance vous sert : vous accrochez un alizé là où il ne devrait pas être, et vous surfez à 25 nœuds de moyenne pendant de longs jours

 

- D’autres fois la malchance vous frappe : un cargo de plein fouet la nuit, une baleine qui casse votre gouvernail, une vague vacharde qui arrache votre flotteur droit

 

- Et puis l’attente, patiente et structurée, dans le calme plat du « pot-au-noir ».

 

 

Et aussi, comme le dit Tabarly lui-même en voix off de ce très beau film : « La vitesse est facteur de sécurité. » Dans des creux de 8 mètres, par des vents de force 10, l’écume est balayée du haut des vagues-montagnes qui vous prennent dans tous les sens. Seule votre vitesse vous sauve car elle évite l’immobilisation au terme d’un surf hallucinant, une immobilisation qui serait synonyme de mort immédiate.

 

Franchement, ca ne vous rappelle rien ? La recherche permanente du tapis le plus fort, pour mieux encaisser les coups de boutoir des adversaires ? Tabarly était le joueur de poker de la mer, le meilleur de tous. Il a disparu il y a 10 ans, non pas dans son lit mais à la barre de son bateau-fétiche, le Pen Duick 1. On note que la même année a disparu Stu Ungar, que les connaisseurs (et moi avec) voient comme le plus grand joueur de poker que la terre a porté...

 

Mais les mots n’ont pas de valeur, ou si peu. Cliquez donc ici, et voyez la bande-annonce.

 

Aussi l' Association Eric Tabarly

Publié dans Evolution

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