Crémaillère
Crémaillère
Une crémaillère est cette tige à crans qu’on suspendait dans les cheminées pour faire tenir la marmite au-dessus du feu. Pour une cuisson forte et rapide, on descendait la marmite de quelques crans. Pour un mijotage lent, on la remontait de quelques crans. L’intérêt culinaire est que, pour faire tenir la marmite en montant, il suffisait de la faire glisser le long de la tige crantée. Pour la descendre, il fallait au contraire la décrocher. Autrement dit, la crémaillère permet de monter facilement mais descendre exige un protocole plus complexe.
« L’effet de crémaillère » est connu entre autres en micro-économie et il est synonyme de blocage. Plus un acteur économique (consommateur notamment) augmente son pouvoir d’achat, plus il lui est psychologiquement difficile d’en perdre ensuite. Cet effet est désastreux sur la flexibilité d’un point de vue théorique. Par exemple, si la conjoncture économique se durcit, les salariés s’unissent pour ne pas perdre leurs droits acquis alors que c’est en faisant une concession collective (sur l’âge de la retraite, sur les salaires…) pendant une durée limitée qu’ils pourraient permettre à la machine économique de repartir. Un peu comme si un acteur à succès qui ne recevrait plus d’engagements refusait de baisser son train de vie (c’est la clochardisation assurée) alors que sa survie dépend de son acceptation de vivre avec des pâtes et de se déplacer en métro en attendant une meilleure fortune.
Et dans le Poker, la crémaillère, kézako ?
Quand on monte en cash games, c’est-à-dire quand on change de table pour une plus chère, peut s’installer le redoutable « effet de crémaillère ». C’est-à-dire qu’il est facile de monter car ça flatte l’adrénaline et ça plaît au joueur, alors que le fait de redescendre est mesquin, humiliant, et de toute façon « anti-fun ».
Pourtant, il est des cas où descendre en prix s’impose : après une série de pertes par exemple, ou quand on a atteint un objectif qu’on s’est imposé.
Mais l’homme est ainsi fait qu’il se complaît dans les parties trop grosses pour lui. Il n’y voit pas le danger de faire exploser son capital, mais seulement et avant tout la perspective de coups énormes. A telle enseigne que, même quand il les perd, il se glorifie de les avoir joués !
Je crois que c’est le théoricien Barry Tanenbaum qui avait remarqué un déséquilibre psychologique dangereux au Poker : un gain au Poker ne fait pas autant de bien au joueur qu’une perte équivalente lui fait de mal. Ou dit autrement : il faut un gros gain pour compenser psychologiquement une perte moyenne. Si vous avez de l’expérience dans le Poker pécuniaire, vous avez sûrement remarqué cet effet assez curieux. Le mental est un prisme qui déforme la réalité.
Pourtant, ce petit jeu est hautement dangereux, car plus les parties sont chères et plus, par définition, les joueurs y sont affûtés. Y compris sur internet. On a toujours la possibilité de tomber sur une table qui fourmille de flambeurs venus se distraire avec quelques milliers de dollars, mais c’est rare et surtout vous risquez de perdre quelques très gros coups avant de vous apercevoir que ce sont des pigeons.
L’effet « anti-crémaillère » existe aussi !
Cet effet s’applique dans la hauteur des cartes. C’est même un effet tendanciel. Il s’applique à bon droit quand le nombre de joueurs à la table baisse, comme on l’a vu. Car moins on est nombreux, plus basse est la probabilité d’affronter un gros jeu, donc plus on doit se contenter de mains marginales pour attaquer.
Mais quand le nombre de joueurs est stationnaire, on ne devrait logiquement pas relâcher sa sélection des mains. C’est pourtant ce qui se passe, curieusement dans deux cas opposés :
- quand on gagne beaucoup, car on se dit qu’on a des munitions supplémentaires pour tenter quelques coups fumants ;
- quand on perd beaucoup, car on est impatient de revenir à flot.
Et dans les deux cas, c’est un tort !
- quand on gagne, parce qu’au contraire, les jetons en plus qu’on possède représentent autant de temps en plus, de confort supplémentaire, donc il faut au contraire serrer le jeu pendant que les adversaires, eux, sont aux abois et se font éliminer à qui mieux mieux ;
- quand on perd, parce qu’il faut se donner le temps de choisir la bonne main pour y mettre alors toutes ses dernières forces. La précipitation nuit toujours. Avec la limite habituelle, à savoir qu’il vaut toujours mieux choisir la main avec laquelle on va le faire plutôt que la subir : si vous n’avez plus qu’un tapis égal à deux surblinds et si vous recevez K-9 ou A-3, n’hésitez plus et faites all-in.