"L'instinct de mort" et le poker
Dans L'Instinct de Mort (Mesrine, première époque), Vincent Cassel campe avec talent le fameux truand qui a défrayé la chronique dans les années 1960-70-80, auteur de mémoires dont a été tiré le scénario.
Pourquoi je parle de ce film dans ce blog ? Parce qu'on y voit trois scènes pokériennes de toute beauté, trois scènes qui soulignent bien l'immense fossé séparant le poker de papa du poker d'aujourd'hui (lequel sévit, disons, depuis Moneymaker, donc 2003, même si dans certains pays c'est un peu avant ou un peu après).
Cartes françaises, tabagie suffocante, whisky à gogo et petites pépées, c'était le lot des parties de l'époque. Je confesse en avoir disputé quelques-unes, comme je reconnais que ce n'étaient pas mon pain quotidien : je préférais les parties décontractées entre vrais copains.
On note que les joueurs « éclairaient » au début de la partie : ils montraient la liasse de billets qu'ils mettaient en jeu. Ainsi il n'y avait pas de reconnaissances de dettes en fin de partie, génératrices de différends à n'en plus finir. Je me souviens qu'en juillet 1981, après la fin de l'année scolaire, un lycéen de ma classe m'avait défié en combat singulier et nous avons joué en tête-à-tête trois parties dans une petite salle de l'institut où il donnait des cours d'anglais, sa langue maternelle. C'était du poker fermé mais aussi du Stud à 5 cartes. L'animal se sur-estimait, il n'avait pas le niveau du moins bon de ceux que j'affrontais dans mes parties privées. J'ai gagné les trois parties : 2.100 francs, soit à peu près un SMIC mensuel de l'époque. Il m'a fait une avance de 200 francs. Je n'ai jamais vu le reste. Le joueur non plus, d'ailleurs, malgré mes appels chez lui.
Dans la dernière partie du film, Mesrine complète le paiement d'une relance à tapis adverse avec son alliance de mariage. Image d'un sacrifice charnel, sacré, comme de celui qui poserait les clés de sa Porsche en guise d'enjeux. Une part de lui-même, en quelque sorte, montrant jusqu'où il était capable d'aller. Cela se faisait entre truands... mais aussi entre gens du spectacle, gens de la nuit et gros commerçants, ceux qui « palpent » les espèces.
Dans ma vie précédente, j'ai croisé le chemin de Bruno Mesrine, le fils prestidigitateur, un grand jeune homme brun hyper-doué de ses doigts. Je n'en aurais jamais voulu à ma table. Trop dangereux.
Dans une autre vie précédente, il m'est arrivé de jouer beaucoup trop gros par rapport à ma bankroll... si tant est que cette notion veuille dire quelque chose à l'époque. Avec le recul, je me rends compte à quel point la gestion du jeu a évolué, plus encore que le jeu lui-même, qui a déjà traversé bien des avatars. Si tu n'étais pas capable de jouer une part de ta survie, tu n'avais pas ta place à la table. Et cette part, ce n'était pas avec une bankroll que tu l'avais mais en jouant l'argent de tous les jours.
Cet argent que tu « éclairais » en début de partie, c'était l'argent du travail, peut-être l'argent de gains précédents, mais en tout cas c'était de l'argent qui provenait d'une seule et unique réserve où se mêlaient commissions, salaires, dessous de table, primes, honoraires, droits d'auteur, cachets et pain de fesse.
Comment, dans ces conditions, pourrais-je prétendre que dans le poker, « avant c'était mieux » ?