Un quart de siècle après mon premier livre
En mai 1984, il y a donc un quart de siècle, je sortais mon premier livre de poker, Le Poker, aux éditions Hatier. La seule photo que j’ai de l’époque avec mon livre est celle-ci, prise en juillet 1984 sur une plage de Jard-sur-Mer. Le président de la république s’appelait François Mitterrand depuis trois ans, le premier ministre, Laurent Fabius depuis quelques jours, la Haute Volta devenait le Burkina Faso et un certain Carl Lewis remportait quatre médailles d'or aux jeux Olympiques de Los Angeles. C’était un monde bizarre peuplé d’anciens combattants au pouvoir, sans internet, sans téléphone portable et presque sans micro-ordinateur… un monde où seul un provocateur, un fou ou un artiste pouvait affirmer qu’il jouait au poker, ce jeu de rentiers, d'artistes ou de voyous qui ne pouvait vous valoir que plaies, bosses et ruine.
Loin de moi l’idée de jouer les vieux de la vieille du poker, mais enfin, un quart de siècle, ça se fête. J’avais commencé ce livre fin 1982, dans ma deuxième année d’université. Je me souviens relisant mes pattes de mouche sur les bancs de l’amphi A du pavillon de sciences-éco de l’université Paris X (Nanterre), où des graffitis datant de mai 68 transparaissaient encore sous la crasse de certains murs. Dans la bibliothèque plus calme, ou dans le train que je prenais tous les jours pour relier Cergy où je vivais à l’époque, je corrigeais, rédigeais, relisais mes textes sur des pages volantes. J’avais passé un temps fou à recalculer toutes les probabilités du jeu, et je les avais soumises à mon prof de statistiques, qui m’avait même dit : « Quelle drôle d’idée d’écrire un livre sur le poker ? ». Il avait raison. A ce moment-là, c’était vraiment une drôle d’idée.
Je voulais que ce livre apportât une véritable nouveauté par rapport à ceux que j’avais lus que je trouvais insuffisants, et pour servir cet objectif, je faisais de l’écriture extensive. Au total, entre l’idée de base et le point final, il m’a fallu une douzaine de mois de travail… un travail discontinu et toujours remis en cause. Un travail dur aussi, car j’ai vite compris la différence qu’il y avait entre écrire un texte pour le plaisir et écrire un texte pour remplir une mission didactique. Au départ, c’est une délectation, mais si on n’y prend garde, cela devient vite un pensum. Je me suis donc frotté au vide glacial du manque d’idée, et après cette épreuve du feu, je n’ai plus jamais eu – je dis bien jamais – l’angoisse de la page blanche.
Ma méconnaissance totale des coulisses de l’édition m’a fait poser des questions au Salon du livre 1983 (qui se tenait au Grand Palais), courir l’information à droite et à gauche, dévorer les rares manuels donnant la recette infaillible pour écrire le best-seller de l’année – laquelle, je le confirme un quart de siècle après, est une pantalonnade.
Je me revois encore, à l’automne 1983, expédier mon manuscrit à quatre ou cinq éditeurs de livres pratiques, et essuyant en retour les lettres de refus conventionnelles ; puis finalement, recevant une lettre de convocation boulevard Raspail, chez cet éditeur réputé pour ses manuels pédagogiques plus présents sur les pupitres des écoles que sur les tables des cercles parisiens. Mes 20 ans à peine révolus ont laissé dubitative la directrice de la collection « Loisirs et Jeux » de chez Hatier, mais j’ai compris assez vite qu’elle m’avait fait venir pour tester si elle n’avait pas affaire à un imposteur. Je jouais régulièrement au poker depuis sept ans, c’est pourquoi j’ai pu lui apporter toutes les réponses requises sans faillir. Je connaissais tous les manuels parus, leurs forces, leurs faiblesses, et je lui ai « fait l’article » pour lui vendre le mien. J’ai signé sur place le contrat. En sortant du bâtiment, j’ai poussé un cri de joie sur le trottoir.
Quand, quelques semaines après, elle m’a informé des précommandes de clients (les libraires), elle a eu un sourire jusqu’aux oreilles pour m’annoncer qu’au lieu des 5.000 exemplaires prévus, le tirage serait de 7.000, grande première dans cette collection. Il faut dire que le dernier livre en date sur le poker était paru en 1978, écrit par Benjamin Hannuna (éditions Marabout), et un de ces rares qui méritent la lecture. Je profitais donc d’un désert quasi-complet sur le sujet. Par la suite, à chaque fois que je revenais boulevard Raspail, j’étais reçu à bras ouverts par le directeur des ventes, qui s’affirmait ravi du succès de mon titre.
La première fois que j'ai vu mon livre sur les rayons des librairies, je n'ai pas réalisé ce qui m'arrivait. Je retournais le livre entre mes mains, et j'avais du mal à comprendre comment tous les efforts que j'avais faits étaient concentrés dans ce petit objet. Mais j'étais heureux comme un enfant.
Le plus beau jour de ma vie n’a pas été mon mariage en juillet 1989, qui a été dissous quatre ans plus tard, mais ce jour béni de 1985 où, sortant de mon école de marketing, j’ai vu mon livre sur la lunette arrière d’une voiture garée le long du trottoir. Ainsi j’avais écrit un livre, mais en plus des gens le lisaient, et le considéraient même si important qu’ils le gardaient dans leur voiture ! Quelle émotion…
J’ai toujours caché avoir écrit un livre sur le poker aux autres étudiants. Discret de nature, je ne voulais pas subir leurs questions empressées. « Et combien t’as touché pour ça », « Montre-moi ton contrat », etc. Tout ce que je savais, c’est qu'à cause de mon entêtement à croire en une chose impossible, j’avais réussi cette chose… et que, donc, je pouvais la refaire encore et encore. Voilà pourquoi d’autres livres ont suivi.
Maintenant, le recul... Je dirai juste que 25 balais, ca nettoie forcément beaucoup devant la porte, mais ca se ne se voit pas passer... Sans doute parce qu'à la longue, ma mémoire devient de plus en plus sélective et qu'elle restitue mal la distance. Tout ce que je peux dire, c'est que plus de la moitié des joueurs que j'affronte aujourd'hui en tournoi n'étaient pas nés quand Poker est sorti... Là ça fait drôle... Mais je resterai toujours un gamin à côté de Doyle Brunson...
Loin de moi l’idée de jouer les vieux de la vieille du poker, mais enfin, un quart de siècle, ça se fête. J’avais commencé ce livre fin 1982, dans ma deuxième année d’université. Je me souviens relisant mes pattes de mouche sur les bancs de l’amphi A du pavillon de sciences-éco de l’université Paris X (Nanterre), où des graffitis datant de mai 68 transparaissaient encore sous la crasse de certains murs. Dans la bibliothèque plus calme, ou dans le train que je prenais tous les jours pour relier Cergy où je vivais à l’époque, je corrigeais, rédigeais, relisais mes textes sur des pages volantes. J’avais passé un temps fou à recalculer toutes les probabilités du jeu, et je les avais soumises à mon prof de statistiques, qui m’avait même dit : « Quelle drôle d’idée d’écrire un livre sur le poker ? ». Il avait raison. A ce moment-là, c’était vraiment une drôle d’idée.
Je voulais que ce livre apportât une véritable nouveauté par rapport à ceux que j’avais lus que je trouvais insuffisants, et pour servir cet objectif, je faisais de l’écriture extensive. Au total, entre l’idée de base et le point final, il m’a fallu une douzaine de mois de travail… un travail discontinu et toujours remis en cause. Un travail dur aussi, car j’ai vite compris la différence qu’il y avait entre écrire un texte pour le plaisir et écrire un texte pour remplir une mission didactique. Au départ, c’est une délectation, mais si on n’y prend garde, cela devient vite un pensum. Je me suis donc frotté au vide glacial du manque d’idée, et après cette épreuve du feu, je n’ai plus jamais eu – je dis bien jamais – l’angoisse de la page blanche.
Ma méconnaissance totale des coulisses de l’édition m’a fait poser des questions au Salon du livre 1983 (qui se tenait au Grand Palais), courir l’information à droite et à gauche, dévorer les rares manuels donnant la recette infaillible pour écrire le best-seller de l’année – laquelle, je le confirme un quart de siècle après, est une pantalonnade.
Je me revois encore, à l’automne 1983, expédier mon manuscrit à quatre ou cinq éditeurs de livres pratiques, et essuyant en retour les lettres de refus conventionnelles ; puis finalement, recevant une lettre de convocation boulevard Raspail, chez cet éditeur réputé pour ses manuels pédagogiques plus présents sur les pupitres des écoles que sur les tables des cercles parisiens. Mes 20 ans à peine révolus ont laissé dubitative la directrice de la collection « Loisirs et Jeux » de chez Hatier, mais j’ai compris assez vite qu’elle m’avait fait venir pour tester si elle n’avait pas affaire à un imposteur. Je jouais régulièrement au poker depuis sept ans, c’est pourquoi j’ai pu lui apporter toutes les réponses requises sans faillir. Je connaissais tous les manuels parus, leurs forces, leurs faiblesses, et je lui ai « fait l’article » pour lui vendre le mien. J’ai signé sur place le contrat. En sortant du bâtiment, j’ai poussé un cri de joie sur le trottoir.
Quand, quelques semaines après, elle m’a informé des précommandes de clients (les libraires), elle a eu un sourire jusqu’aux oreilles pour m’annoncer qu’au lieu des 5.000 exemplaires prévus, le tirage serait de 7.000, grande première dans cette collection. Il faut dire que le dernier livre en date sur le poker était paru en 1978, écrit par Benjamin Hannuna (éditions Marabout), et un de ces rares qui méritent la lecture. Je profitais donc d’un désert quasi-complet sur le sujet. Par la suite, à chaque fois que je revenais boulevard Raspail, j’étais reçu à bras ouverts par le directeur des ventes, qui s’affirmait ravi du succès de mon titre.
La première fois que j'ai vu mon livre sur les rayons des librairies, je n'ai pas réalisé ce qui m'arrivait. Je retournais le livre entre mes mains, et j'avais du mal à comprendre comment tous les efforts que j'avais faits étaient concentrés dans ce petit objet. Mais j'étais heureux comme un enfant.
Le plus beau jour de ma vie n’a pas été mon mariage en juillet 1989, qui a été dissous quatre ans plus tard, mais ce jour béni de 1985 où, sortant de mon école de marketing, j’ai vu mon livre sur la lunette arrière d’une voiture garée le long du trottoir. Ainsi j’avais écrit un livre, mais en plus des gens le lisaient, et le considéraient même si important qu’ils le gardaient dans leur voiture ! Quelle émotion…
J’ai toujours caché avoir écrit un livre sur le poker aux autres étudiants. Discret de nature, je ne voulais pas subir leurs questions empressées. « Et combien t’as touché pour ça », « Montre-moi ton contrat », etc. Tout ce que je savais, c’est qu'à cause de mon entêtement à croire en une chose impossible, j’avais réussi cette chose… et que, donc, je pouvais la refaire encore et encore. Voilà pourquoi d’autres livres ont suivi.
Maintenant, le recul... Je dirai juste que 25 balais, ca nettoie forcément beaucoup devant la porte, mais ca se ne se voit pas passer... Sans doute parce qu'à la longue, ma mémoire devient de plus en plus sélective et qu'elle restitue mal la distance. Tout ce que je peux dire, c'est que plus de la moitié des joueurs que j'affronte aujourd'hui en tournoi n'étaient pas nés quand Poker est sorti... Là ça fait drôle... Mais je resterai toujours un gamin à côté de Doyle Brunson...