Dan Harrington et les probabilités (article rectifié)
Vous savez le respect que je voue à Dan Harrington. Mais il en a tellement dit et écrit qu'il a prêté le flanc à la critique -- à l'inverse de ceux qui n'affirment jamais rien et restent à l'affut de la critique la plus sordide à balancer sur ceux qui prennent le risque du discours.
Ici, je voudrais pointer du doigt une analyse que Dan fait plusieurs fois dans ses livres, et qui me semble au moins sujette à débat.
Il s'agit d'affirmer que quand une carte double ou triple au tableau, cela réduit la probabilité que l'adversaire la possède en main. Je trouve cette affirmation dangereuse si elle n'est pas commentée parce qu'elle tend à laisser penser que l'adversaire possède rarement la carte qui nous fait perdre, ce qui peut nous pousser à nous sentir en sécurité. Alors que c'est dans cette situation que, souvent, on saute d'un tournoi : par excès de confiance.
Voyons cela avec un exemple qu'il donne dans Poker Cash 2, page 190. C'est une session de cash-game.
Le tableau :
Nous avons :
et nous sommes en 7e position à une table de 9, avec un tapis de 950 et des blinds 5/10.
Nous relancons préflop à 40, le bouton seul suit, et son tapis est le double du nôtre.
Au flop, nous misons 60 et nous sommes payé.
A la turn, nous misons 100 et nous sommes payé.
Quand arrive la river qui affiche un brelan, Dan écrit : "L'apparition du troisième Valet a fait chuter la probabilité que notre adversaire possède le dernier Valet en main."
C'est évidemment juste, mais il serait facile de penser qu'il y a là un problème de probabilités conditionnelles, alors qu'il n'en est rien. Comme les cartes sont sensées être dans l'ordre unique issu du mélange, chaque carte visible supplémentaire va donner une information dont il faudra tenir compte dans les probabilités.
Il est bien sûr curieux de se dire que préflop, l'adversaire a une probabilité d'avoir un Valet, probabilité qui diminue quand le coup avance... mais c'est une réalité à laquelle les joueurs doivent se faire. En quelque sorte, l'avenir impacte le passé... Mais dans le monde des probabilités, cela est possible. Si vous aimez vous prendre la tête avec ce genre de questions, je vous renvoie au problème de Monty Hall, qui se trouve d'ailleurs évoqué au début du film Las Vegas 21 par le professeur joué par Kevin Spacey. Dans le monde réel, si Albert a un chapeau rouge, je peux changer l'environnement factuel d'Albert autant que je le veux (sans repeindre le chapeau ni changer la composition des ondes qui l'entourent), son chapeau sera toujours rouge.
Dans le monde des probabilités, les informations factuelles qui proviennent ensuite rectifient les probabilités de départ. Au départ, la probabilité qu'Albert ait un Valet en main était de 14,5%. Dès l'instant qu'on voit au flop :
- 1 Valet, elle chute à 10,9% (nous admettrons que nous n'avons pas nous-même de Valet)
- 2 Valets, elle devient 7,2%
- 3 Valets, elle devient 3,6%.
Or, tant qu'une probabilité est non nulle, l'événement peut avoir lieu... Et c'est là que les joueurs doivent réaliser que, si la probabilité que l'adversaire ait la carte victorieuse est faible, elle existe néanmoins.
C'est le cas par exemple quand on a couleur à la river avec K-Q de coeur en main... et qu'on est battu par A-T de coeur dans la main adverse. Ou encore, quand le tableau montre 2 As, que nous avons A-Q en main et que l'adversaire abat A-K... Cas classiques d'élimination, mais qui ne s'est jamais dit alors : "C'est pas vrai ! Il avait aussi un As en main, à tous les deux on avait les 4 As !"
J'ai encore en mémoire la main qui m'a fait perdre l'EFOP Omaha 2007 (je termine quand même deuxième), où j'ai A-Q-x-x en main, où le flop affiche A-Q-x-x et où l'adversaire a Q-Q-x-x en main... Ce genre d'histoire arrive tous les jours au poker, c'est vrai, mais à cet instant, avec ses deux paires max au flop, est-on pas fondé à penser qu'on a la meilleure main en-dehors des 4 brelans possibles, rares quand on est 2 en piste ? Oui, bien sûr. Probabilité faible, certes, mais non nulle, donc l'événement est bien possible, donc il peut se produire.
Le poker est bien un jeu d'informations incomplètes comme on le répète si souvent, et chaque information supplémentaire, si elle est factuelle, réajuste les probabilités. Il faut penser à le faire au fur et à mesure que les cartes apparaissent. Cela vaut pour toutes les cartes vues, y compris de façon accidentelle : carte adverse "flashée", carte brûlée, joueur retournant sa main en la jetant, voisin couvrant mal ses cartes au moment d'en prendre connaissance, etc.
Reste une autre question :
Qu'est-ce qui, dans le jeu et le comportement de mon adversaire, peut me donner à penser qu'il possède bien ce satané Valet ? Là il s'agit d'une question de lecture, donc de décryptage de l'adversaire, et c'est tout autre chose. Quand on connaît parfaitement un adversaire, on est capable d'affirmer : "Non, cet adversaire n'a pas de Valet en main même s'il a une probabilité objective de 3,6% d'en avoir un."
C'est tout le génie du joueur de pouvoir transformer une probabilité en une certitude.
Ici, je voudrais pointer du doigt une analyse que Dan fait plusieurs fois dans ses livres, et qui me semble au moins sujette à débat.
Il s'agit d'affirmer que quand une carte double ou triple au tableau, cela réduit la probabilité que l'adversaire la possède en main. Je trouve cette affirmation dangereuse si elle n'est pas commentée parce qu'elle tend à laisser penser que l'adversaire possède rarement la carte qui nous fait perdre, ce qui peut nous pousser à nous sentir en sécurité. Alors que c'est dans cette situation que, souvent, on saute d'un tournoi : par excès de confiance.
Voyons cela avec un exemple qu'il donne dans Poker Cash 2, page 190. C'est une session de cash-game.
Le tableau :
Nous avons :
et nous sommes en 7e position à une table de 9, avec un tapis de 950 et des blinds 5/10.
Nous relancons préflop à 40, le bouton seul suit, et son tapis est le double du nôtre.
Au flop, nous misons 60 et nous sommes payé.
A la turn, nous misons 100 et nous sommes payé.
Quand arrive la river qui affiche un brelan, Dan écrit : "L'apparition du troisième Valet a fait chuter la probabilité que notre adversaire possède le dernier Valet en main."
C'est évidemment juste, mais il serait facile de penser qu'il y a là un problème de probabilités conditionnelles, alors qu'il n'en est rien. Comme les cartes sont sensées être dans l'ordre unique issu du mélange, chaque carte visible supplémentaire va donner une information dont il faudra tenir compte dans les probabilités.
Il est bien sûr curieux de se dire que préflop, l'adversaire a une probabilité d'avoir un Valet, probabilité qui diminue quand le coup avance... mais c'est une réalité à laquelle les joueurs doivent se faire. En quelque sorte, l'avenir impacte le passé... Mais dans le monde des probabilités, cela est possible. Si vous aimez vous prendre la tête avec ce genre de questions, je vous renvoie au problème de Monty Hall, qui se trouve d'ailleurs évoqué au début du film Las Vegas 21 par le professeur joué par Kevin Spacey. Dans le monde réel, si Albert a un chapeau rouge, je peux changer l'environnement factuel d'Albert autant que je le veux (sans repeindre le chapeau ni changer la composition des ondes qui l'entourent), son chapeau sera toujours rouge.
Dans le monde des probabilités, les informations factuelles qui proviennent ensuite rectifient les probabilités de départ. Au départ, la probabilité qu'Albert ait un Valet en main était de 14,5%. Dès l'instant qu'on voit au flop :
- 1 Valet, elle chute à 10,9% (nous admettrons que nous n'avons pas nous-même de Valet)
- 2 Valets, elle devient 7,2%
- 3 Valets, elle devient 3,6%.
Or, tant qu'une probabilité est non nulle, l'événement peut avoir lieu... Et c'est là que les joueurs doivent réaliser que, si la probabilité que l'adversaire ait la carte victorieuse est faible, elle existe néanmoins.
C'est le cas par exemple quand on a couleur à la river avec K-Q de coeur en main... et qu'on est battu par A-T de coeur dans la main adverse. Ou encore, quand le tableau montre 2 As, que nous avons A-Q en main et que l'adversaire abat A-K... Cas classiques d'élimination, mais qui ne s'est jamais dit alors : "C'est pas vrai ! Il avait aussi un As en main, à tous les deux on avait les 4 As !"
J'ai encore en mémoire la main qui m'a fait perdre l'EFOP Omaha 2007 (je termine quand même deuxième), où j'ai A-Q-x-x en main, où le flop affiche A-Q-x-x et où l'adversaire a Q-Q-x-x en main... Ce genre d'histoire arrive tous les jours au poker, c'est vrai, mais à cet instant, avec ses deux paires max au flop, est-on pas fondé à penser qu'on a la meilleure main en-dehors des 4 brelans possibles, rares quand on est 2 en piste ? Oui, bien sûr. Probabilité faible, certes, mais non nulle, donc l'événement est bien possible, donc il peut se produire.
Le poker est bien un jeu d'informations incomplètes comme on le répète si souvent, et chaque information supplémentaire, si elle est factuelle, réajuste les probabilités. Il faut penser à le faire au fur et à mesure que les cartes apparaissent. Cela vaut pour toutes les cartes vues, y compris de façon accidentelle : carte adverse "flashée", carte brûlée, joueur retournant sa main en la jetant, voisin couvrant mal ses cartes au moment d'en prendre connaissance, etc.
Reste une autre question :
Qu'est-ce qui, dans le jeu et le comportement de mon adversaire, peut me donner à penser qu'il possède bien ce satané Valet ? Là il s'agit d'une question de lecture, donc de décryptage de l'adversaire, et c'est tout autre chose. Quand on connaît parfaitement un adversaire, on est capable d'affirmer : "Non, cet adversaire n'a pas de Valet en main même s'il a une probabilité objective de 3,6% d'en avoir un."
C'est tout le génie du joueur de pouvoir transformer une probabilité en une certitude.