WSOP 2009, acte poker 3
Ici, à Las Vegas, où le poker règne en maître, la crise, connais pas. Personne n’en parle, il n’y a guère que quelques journaux pleurnichards qui osent encore la nommer, mais comme personne ne les lit, tout le monde s’est balance. D’ailleurs je n’ai franchement pas l’impression qu’il y ait moins de monde que l’an dernier à la même époque. Pourtant je traîne pas mal mes guêtres dans Vegas, et je ne vois pas d’attraction déserte, de casino vide, de galerie marchande délaissée.
Un signe qui ne trompe pas : les travaux n’ont pas été interrompus. Le futur Fontainebleau est presque fini au nord du Wynn, de même que le casino à l'architecture multiforme au sud du Bellagio. Et même si les hôtels ont fait quelques efforts de tarifs, les spectacles, eux, n’en ont fait aucun et font salle pleine. Pen & Teller continuent à $75. Bette Midler, pourtant pas un perdreau de l’année (63 balais), démarre à $124 le strapontin au fond de la salle, jusqu’à… $360. Et Rita Rudner, une « entertainer » dans un one-woman-show, reste à $54. Ils se produisent tous les soirs, et si c'était un fiasco, ils seraient retirés de l'affiche. Or ils étaient déjà là l'an dernier ! J'ai ajouté leurs trombines :
En période de crise, ceux qui sont les plus touchés ont plus encore envie de s’amuser pour évacuer le quotidien, et on les retrouve à Vegas. Là, ils sont servis, car il y en a pour tous les goûts. On trouve même trois revues topless. Les casinos vont jusqu’à mettre des machines à sous gratuites sur le trottoir. Le Harrah’s a créé le « Margaritaville », sorte de bateau à voile sur le Strip, et les gens sirotent leur conso au bastingage en regardant les voitures passer. Là, c’est l’ambiance exotique, style Kid Creole & the Coconuts pour ceux qui ont des lettres. Plus loin, un stand vous photographie en Playboy girl ou en Chippendale grâce à un système vidéo ingénieux. Le Planet Hollywood va plus loin : il a installé des tables de blackjack dans une de ses boîtes de nuit avec entrée ouverte presque sur la rue, à moins que la discothèque ait envahi la salle de jeux, on ne sait plus, et pour en rajouter une couche toutes les donneuses sont aussi déshabillés que les serveuses… C’est dire !
Je me suis interrogé sur le prix que pouvait compter un séjour d’une semaine à Vegas pour une personne. J’arrive à 1.300 euros pour une semaine, tout compris. Fou ? Non :
- avion : 600 euros (en s’y prenant 2 mois à l’avance)
- hébergement : $199 dollars, soit 150 euros
- location de voiture : $220 chez Alamo, soit 170 euros
- alimentation sur place : $50 par jour, soit $350, soit 250 euros
- faux frais : disons $170, soit $130 euros
Voilà, je vous ai bouclé votre budget total au départ de Paris. Hors budget jeu et divertissement bien sûr. C’est beaucoup pour quelqu’un qui démarre dans la vie, mais c’est peu pour quelqu’un qui a une paie correcte par rapport au dépaysement.
Je suis sûr que vous avez tiqué sur un prix : l’hébergement. Eh oui, je vous le trouve à moins de $200 la semaine ! Je suis allé sur place, sur Harmon Street, à 500 mètres à l’est du Strip, à la hauteur du MGM Grand. Donc très bien placé par rapport à tous les lieux de perdition dont nous sommes si friands. C’est une résidence constituée de petits appartements, avec parking à part, et dans ce secteur pour en trouverez même plusieurs. Je leur ai demandé s’ils avaient de la place, et ils ne sont même pas complets. Attention : fournissez vous-même la literie et les serviettes, mais franchement, à Vegas entre mars et octobre, on ne voit pas pourquoi on s’encombrerait d’une couette…
Quant aux repas, c’est simple : dans tous les hôtels vous avez une formule $10 le matin, et buffet à $20 le midi et le soir. Et encore je suis large, car dans beaucoup d’endroits vous trouverez moins cher. En plus, vous pourrez aussi faire vos courses dans le Walgreens du coin et vous acheter de quoi vous faire votre propre tambouille.
Enfin, la voiture. Evidemment on peut vivre sans voiture à Vegas. Mais l’intérêt d’habiter légèrement excentré comme je le propose, c’est de pouvoir rayonner ensuite où l’on veut avec sa voiture. Les parkings des casinos sont tous gratuits. Les taxis sont assez chers, ils reviennent en moyenne à $15 la course d’un point à un autre de Vegas autour du Strip. Et les taximen de Vegas sont de mauvais coucheurs : volontiers râleurs, mal élevés, surtout quand on ne leur donne pas un pourboire (le fameux « tip ») de moins de 20% au final ! La location de voiture vous ouvre la voie à des déplacements plus importants, comme le Lac Mead, la Vallée de la mort, etc. Il y a des paysages à couper le souffle à moins d’une heure de voiture autour de Vegas.
Bon, voilà, j’ai terminé mon boulot de tour operator, et quand vous réserverez votre ticket, mentionnez bien mon nom pour que je touche ma com (c’est mon « rake » perso).
L’Acte 2, on s’en souvient, avait laissé le François sur le flanc après ce qu’on ne peut guère appeler autrement qu’un bad beat, mais enfin j’en ai vu d’autres, et le lendemain, en me réveillant, j’avais l’air normal, en tout cas pas pire qu’à l’ordinaire. J’ai donc enchaîné quatre séances de cash-games en trois jours, et cette fois je m’en tire avec deux pertes pour deux gains, mais des gains nettement plus forts, ma perte étant plafonnée à $700 à chaque session. Au Wynn, j’ai même dépassé les +2.000 dollars en une soirée. C’est décidément là que se trouve le fish, mon copain avait raison. Pas mal de clients riches à millions qui se détendent autour d’un table de poker mais et qui ignorent ce que cote ou floating veut dire. Et très mauvais bluffeurs, en plus. Ils ne sont évidemment pas tous comme ça, mais vous en aurez au moins deux ou trois par table.
Le meilleur client, c’est le client à ego. Il déteste se faire sur-relancer, et s’il perd un abattage contre vous, il vous en veut personnellement. Le meilleur moyen de l’avoir, c’est de lui envoyer le tapis avec une main gagnante (et contre eux, certaines mains même pas max sont forcément gagnantes), car il se fait un devoir de vous payer pour vous avoir la peau. Il oublie juste que vous bluffez un peu moins que lui. Après ça, il se recave à $1.500 et fait à peu près n’importe quoi. Il y aussi celui qui, ayant un budget quasi-illimité, joue à la roulette comme un gamin. Il paie les tirages jusqu’au bout. Et s’il vient à gagner un gros coup, ce qui arrive à un moment ou à un autre, vous savez que cet argent ne fera que passer et que vous le récupérez plus tard.
Un tuyau : Au moment où un joueur s'installe à votre table, vous pouvez savoir s'il est prêt à consacrer plus d'argent à son tapis. C'est quand il sort sa liasse de billets de poche pour acheter les jetons. Suivant le taille de la liasse et le détachement qu'il a à donner les billets ou croupier, vous avez un indication sur sa propension qu'il aura à payer une relance à tapis avec une main correcte mais pas max. Propension zéro pour le joueur "one-shot", qui ne va acjeter qu'une cave et ne va pas payer avec n'importe quoi, propension maxi pour celui qui manie son argent avec plus détachement.
Hier, quand j’ai fait ma belle session au Wynn à partir de 13h, j’ai quitté la table à 16h. Je suis revenu à minuit et demie et j’ai vu deux des joueurs de l’après-midi encore là. J’ignore combien de temps ils auront joué en tout, mais ce que je peux dire c’est qu’ils y ont assurément laissé une poignée de « grands » (milliers de dollars), vu que leur tapis était encore plus faible quand je suis revenu que quand suis parti.
A 17h hier, c’était mon troisième tournoi WSOP, le n°16, le Stud à 7 cartes à $1.500. Une fois de plus dans la salle Brazilia, moins grande que la salle Amazon puisqu’elle ne peut abriter qu’une petite soixantaine de tables, excusez du peu. Je me retrouve assis à la table de David Singer, qui va s’avérer être un râleur fini qui ne sourit jamais et qui appelle le floor à chaque fois que quelque chose de vaguement singulier s’est passé à la table. J’ai la place n°2, et comme nous sommes 8, j’ai le tournant, ayant en face de moi au autre joueur français dont j’ai oublié le nom, un joueur d’une petite soixantaine d’années que j’ai déjà rencontré… vers 1997 dans une émission télé qui parlait de jeu d’argent ! J’y présentais alors Poker apprenez l’excellence qui venait de sortir. Comme quoi on est toujours rattrapé par son passé…
Il y a 359 joueurs au départ, nous avons 5.000 jetons et les premières limites sont 25 (ante), 25 (bring-in), 50 (deux premiers tours), 100 (trois derniers tours). Bonne structure donc, avec niveaux d’une heure. Sur la table voisine, Fabrice Soulier, redoutable comme on sait en Stud7.
Quelques bonnes mains dès le départ m’amènent des jetons, et je monte dans la première heure à 8.000 environ. Pendant ce temps-là, Singer ne gagne pas un coup et mon vis-à-vis français arrose le tapis, à la parisienne. A ma gauche se trouve un vieux joueur américain qui mange ses mots au point que je n’entende rien à ce qu’il dit. Ce joueur particulier va recevoir plusieurs mauvais coups, au point d’être le premier de la table à aller all-in, au deuxième niveau. Et pour la première fois de ma vie, je vais voir un joueur de limit envoyer son tapis cinq fois de suite et gagner le coup à chaque fois. Et pas avec de clopinettes, puisqu’il abat toujours au moins brelan ! Mais la sixième sera la bonne. Il ne sera cependant pas le premier de la table à sauter, puisque Singer le fera avant lui. Si je ne me trompe, Singer n’aura pas gagné un seul coup de son court tournoi. Je lui aurai pris deux fois des jetons.
Et dans ce genre d’épreuves, cela ne pardonne pas. Dans la première heure, à la limite, ce n’est pas très grave. Mais dès le deuxième niveau, il faut impérativement que vous encaissiez quelques coups car les jetons filent vite. A fortiori dans les niveaux suivants.
Au troisième niveau, je m’accroche sur un coup à trois joueurs. Je relance dès le départ avec (Q-Q)9, on me comprend, et deux joueurs me suivent. Je reçois un As, et bien sûr je poursuis l’attaque. Je reçois ensuite un Valet, et je pilonne toujours, à hauteur 200 cette fois, sans être relancé. Arrive ensuite un 9 qui me donne deux paires dont une au tableau, et là encore je pilonne et suis suivis. Les tableaux adverses ne sont pas convaincants : aucune paire, pas de quinte ni de couleur précises. Mais je me doute bien que s’ils me suivent, c’est parce qu’ils ont des tirages valables ou au moins une paire moyenne. A cet instant, il y a dans le pot environ 2.000. Je n’ai pas spécialement de crainte, si ce n’est que quand on arrive en fin de coup à trois joueurs, il y en a presque toujours un au moins qui touche, et je veux bien sûr que ce soit moi !
Le donneur me donne ma dernière carte… mais il me la donne face vers le haut. « Oops » fait-il en s’arrêtant. Et c’est une Dame, qui me donne full ! Je sais que dans ces cas-là, il faut donner la dernière carte ouverte aussi aux autres joueurs, et la carte n’est en rien brûlée. Mais j’essaie de me contrôler et de ne pas laisser paraître que cette carte est mon paradis ! Le floor arrive, et décrète ce que je savais : mes deux adversaires vont recevoir leur carte ouverte. Je vois alors des tableaux de quinte et de couleurs, et aucune paire toujours. J’ouvre donc, et je suis relancé, puis sur-relancé ! Chouette, ils ont tous les deux touché leur couleur/quinte ! Evidemment, j’en remets une couche à mon tour, et tout le monde s’aligne puisque de toute façon, on est « cappé », on ne peut plus ajouter d’enchère. Cette fois, le pot avoisine les 4.500. Et je vais l’encaisser…
J’abats mon full, un adversaire jette ses cartes, mais l’autre abat les siennes. Il est à l’autre bout de la table, je vois une couleur à cœur avec de petites cartes… Mais le donneur annonce clairement « Straight flush ». Il a effectivement quinte flush au 7 ! Quelle poisse… Comme si cette Dame salvatrice n’avait été là que pour me faire lâcher 1000 jetons de plus…
Heureusement, il me reste encore un tapis supérieur à la moyenne, donc j’ai de quoi voir venir. Mais jamais, je crois, en 17 ans de Stud, je n’ai subi un tel revers. Je dis à mon voisin de droite, qui est un rigolard avec qui j’échange quelques paroles de temps en temps : « Heureusement que cela m’arrive maintenant, car plus tard dans le tournoi, je serais mort… » En toute chose malheur est bon.
Singer a été remplacé par une vieille connaissance : Michael Mizrachi. On se souvient qu’il a été mon adversaire dans le premier tournoi, il y a quelques jours, et il arrive ici avec un tapis équivalent au mien. J’ai déjà joué Mizrachi avant, à Londres en septembre 2007, au Horse des premières WSOPE. Il ne m’avait pas fait grande impression, mais je sais qu’il est dangereux et a un véritable instinct.
Ensuite viennent quatre coups : perdu, gagné, perdu, gagné. A chaque fois avec des doubles-paires, sauf le dernier… avec une simple paire d’As non améliorée contre un joueur qui a tourné autour de ses tirages sans toucher. Je me méfie des tirages à couleur. Souvent on court derrière sans les toucher. Par exemple, à un moment donné, je reçois trois trèfles dont le Roi, mais je vois trois autres trèfles sortis, et aussi un Roi. Il y a relance… alors je préfère jeter ma main.
C’est dans ce niveau aussi que choisit mon collègue français pour abattre une main exceptionnelle : une couleur à 7 cartes. J’avais déjà vu plusieurs fois des quintes à 7 cartes, que les Allemands appellent pour rigoler « Autobahn » (autoroute, car leur quinte s’appelle route, « Strasse »). Mais je ne me souviens pas avoir vu une couleur totale. Et non, elle n’est pas battue par un full : elle gagne le coup contre le démon à la quinte flush. Il reste environ 230 joueurs.
Puis vient l’arrêt dîner d’une heure. Je file au World Carnival Buffet, où pour une vingtaine de dollars vous avez un choix étonnant avec quantités illimitées. Ce qui est un piège, comme je l’ai déjà signalé. Ce buffet est de loin le plus grand que j'aie vu à Vegas.
De retour sur le théâtre des opérations, les antes passent à 75, le bring-in à 100, la première limite à 300 et la deuxième à 600. A des prix pareils, quand le tapis moyen est à environ 8.000, c’est l’équivalent d’un M de 10 en no-limit. En fait, la notion de M n’a pas vraiment de sens ici, mais si on regarde combien coûtent 8 donnes et si on considère qu’on va miser une fois le bring-in, ce qui est la moyenne, cela nous donne 600+100=700 de mises obligatoires. Soit, en l’occurrence, un M de 11 pour le tapis moyen. Les coups deviennent hors de prix. Mais d’un autre côté, quand on en gagne un, notre tapis fait un bon en avant. D’où l’importance capitale de la sélection des coups dans lesquels ont s’engage.
De coup en coup je jette mes cartes, patiemment. Cela tombe bien, je ne reçois que des mains exécrables. Quinze coups s’enchaînent ainsi sans que je voie la moindre paire au départ, ni trois grosses cartes, ni trois cartes assorties vivantes, qui sont en gros les trois modèles jouables. Pendant ce temps-là, mon tapis se réduit, et j’en suis à environ 4.000. Je dois gagner le prochain coup dans lequel je m’engage.
Arrive enfin le jeu (A-6)A bicolore, et je relance. Un joueur me suit, le même qui avait perdu contre la quinte flush avec moi. Aucun autre 6 ni aucun As n’est visible, je suis serein. A chaque fois je vais miser, et à chaque fois il va suivre. Mais je n’améliore pas jusqu’à la sixième. A cet instant, j’ai quatre cœurs et l’adversaire a une paire de 8 visible mais il aussi 9 et Valet. Il peut avoir déjà deux paires ou quinte, je me méfie terriblement de ce genre de tableaux. Mais il peut aussi avoir juste la paire avec un tirage, ce qui le maintient sur le coup, et c’est plus souvent le cas, donc j’ai bon espoir. La dernière carte m’est donnée, mais je la garde cachée en attendant de voir la réaction adverse. Il regarde sa carte… et checke. Je regarde la mienne… rien. Pas la couleur, pas le brelan, ni même deux paires. Si j’avais une paire visible au tableau, je pourrais attaquer à 600, car s’il n’a pas amélioré ses 8, il devra forcément passer. Mais je n’ai aucune paire visible, seulement A-Q-7-3, et si j’attaque il va forcément me payer.
Donc je suis contraint d’abattre mes As en étant persuadé qu’il a deux petites paires… et c’est le cas : il me bat avec seulement deux paires 8-5 ! C’est aussi le piège des As de donner trop d’espoir…
Maintenant c’est le drame pour moi, je n’ai plus que 1.200. Bien sûr la situation n’est pas catastrophique car si je gagne un coup, je peux me retrouver à 3.000, et si j’en gagne un autre un peu plus tard, à 6.000, ce qui me remettrait en selle… Mais j’ai assez d’expérience pour savoir que cette possibilité est assortie d’une bien faible probabilité…
Deux coups se passent, puis arrive la main (J-9)9. Aucun Valet ni aucun Neuf à l’horizon, alors je complète au bring-in. Mizrachi relance à 300. Aie. Il a une Dame sortie. Ca sent le roussis. Un autre tapis est aussi en perdition, c’est celui du joueur qui m’a battu avec sa quinte flush. Il suit la relance. Dès lors je dois suivre aussi. Et la carte suivante est… un Valet, qui me donne deux paires. Mais celle de Mizrachi est… une Dame, qui lui donne paire de Dames visible ! Il attaque, le troisième larron suit, dès lors, devant une telle cote, je ne peux que suivre. Il reste trois cartes à venir, et devant le brelan ou les deux paires de Mizrachi, il me faut encore un Valet ou un Neuf pour faire brelan.
Mais aucune de ces cartes n’est venue. En revanche, j’ai recu une paire de 3 de plus, qui me fait terminer avec trois paires, ironie de l’histoire. Mizrachi élimine deux adversaires d’un coup, et met fin à ma troisième aventure WSOP 2009. Je regarde l’horloge : elle marque qu’il reste 204 joueurs.
Il est minuit, je rentre dormir en pensant déjà à mon dernier galop, celui du tournoi n°20 de mardi prochain à midi, le Hold’em pot-limit à $1.500. Ce sera mon acte 4.
Un signe qui ne trompe pas : les travaux n’ont pas été interrompus. Le futur Fontainebleau est presque fini au nord du Wynn, de même que le casino à l'architecture multiforme au sud du Bellagio. Et même si les hôtels ont fait quelques efforts de tarifs, les spectacles, eux, n’en ont fait aucun et font salle pleine. Pen & Teller continuent à $75. Bette Midler, pourtant pas un perdreau de l’année (63 balais), démarre à $124 le strapontin au fond de la salle, jusqu’à… $360. Et Rita Rudner, une « entertainer » dans un one-woman-show, reste à $54. Ils se produisent tous les soirs, et si c'était un fiasco, ils seraient retirés de l'affiche. Or ils étaient déjà là l'an dernier ! J'ai ajouté leurs trombines :
En période de crise, ceux qui sont les plus touchés ont plus encore envie de s’amuser pour évacuer le quotidien, et on les retrouve à Vegas. Là, ils sont servis, car il y en a pour tous les goûts. On trouve même trois revues topless. Les casinos vont jusqu’à mettre des machines à sous gratuites sur le trottoir. Le Harrah’s a créé le « Margaritaville », sorte de bateau à voile sur le Strip, et les gens sirotent leur conso au bastingage en regardant les voitures passer. Là, c’est l’ambiance exotique, style Kid Creole & the Coconuts pour ceux qui ont des lettres. Plus loin, un stand vous photographie en Playboy girl ou en Chippendale grâce à un système vidéo ingénieux. Le Planet Hollywood va plus loin : il a installé des tables de blackjack dans une de ses boîtes de nuit avec entrée ouverte presque sur la rue, à moins que la discothèque ait envahi la salle de jeux, on ne sait plus, et pour en rajouter une couche toutes les donneuses sont aussi déshabillés que les serveuses… C’est dire !
Je me suis interrogé sur le prix que pouvait compter un séjour d’une semaine à Vegas pour une personne. J’arrive à 1.300 euros pour une semaine, tout compris. Fou ? Non :
- avion : 600 euros (en s’y prenant 2 mois à l’avance)
- hébergement : $199 dollars, soit 150 euros
- location de voiture : $220 chez Alamo, soit 170 euros
- alimentation sur place : $50 par jour, soit $350, soit 250 euros
- faux frais : disons $170, soit $130 euros
Voilà, je vous ai bouclé votre budget total au départ de Paris. Hors budget jeu et divertissement bien sûr. C’est beaucoup pour quelqu’un qui démarre dans la vie, mais c’est peu pour quelqu’un qui a une paie correcte par rapport au dépaysement.
Je suis sûr que vous avez tiqué sur un prix : l’hébergement. Eh oui, je vous le trouve à moins de $200 la semaine ! Je suis allé sur place, sur Harmon Street, à 500 mètres à l’est du Strip, à la hauteur du MGM Grand. Donc très bien placé par rapport à tous les lieux de perdition dont nous sommes si friands. C’est une résidence constituée de petits appartements, avec parking à part, et dans ce secteur pour en trouverez même plusieurs. Je leur ai demandé s’ils avaient de la place, et ils ne sont même pas complets. Attention : fournissez vous-même la literie et les serviettes, mais franchement, à Vegas entre mars et octobre, on ne voit pas pourquoi on s’encombrerait d’une couette…
Quant aux repas, c’est simple : dans tous les hôtels vous avez une formule $10 le matin, et buffet à $20 le midi et le soir. Et encore je suis large, car dans beaucoup d’endroits vous trouverez moins cher. En plus, vous pourrez aussi faire vos courses dans le Walgreens du coin et vous acheter de quoi vous faire votre propre tambouille.
Enfin, la voiture. Evidemment on peut vivre sans voiture à Vegas. Mais l’intérêt d’habiter légèrement excentré comme je le propose, c’est de pouvoir rayonner ensuite où l’on veut avec sa voiture. Les parkings des casinos sont tous gratuits. Les taxis sont assez chers, ils reviennent en moyenne à $15 la course d’un point à un autre de Vegas autour du Strip. Et les taximen de Vegas sont de mauvais coucheurs : volontiers râleurs, mal élevés, surtout quand on ne leur donne pas un pourboire (le fameux « tip ») de moins de 20% au final ! La location de voiture vous ouvre la voie à des déplacements plus importants, comme le Lac Mead, la Vallée de la mort, etc. Il y a des paysages à couper le souffle à moins d’une heure de voiture autour de Vegas.
Bon, voilà, j’ai terminé mon boulot de tour operator, et quand vous réserverez votre ticket, mentionnez bien mon nom pour que je touche ma com (c’est mon « rake » perso).
L’Acte 2, on s’en souvient, avait laissé le François sur le flanc après ce qu’on ne peut guère appeler autrement qu’un bad beat, mais enfin j’en ai vu d’autres, et le lendemain, en me réveillant, j’avais l’air normal, en tout cas pas pire qu’à l’ordinaire. J’ai donc enchaîné quatre séances de cash-games en trois jours, et cette fois je m’en tire avec deux pertes pour deux gains, mais des gains nettement plus forts, ma perte étant plafonnée à $700 à chaque session. Au Wynn, j’ai même dépassé les +2.000 dollars en une soirée. C’est décidément là que se trouve le fish, mon copain avait raison. Pas mal de clients riches à millions qui se détendent autour d’un table de poker mais et qui ignorent ce que cote ou floating veut dire. Et très mauvais bluffeurs, en plus. Ils ne sont évidemment pas tous comme ça, mais vous en aurez au moins deux ou trois par table.
Le meilleur client, c’est le client à ego. Il déteste se faire sur-relancer, et s’il perd un abattage contre vous, il vous en veut personnellement. Le meilleur moyen de l’avoir, c’est de lui envoyer le tapis avec une main gagnante (et contre eux, certaines mains même pas max sont forcément gagnantes), car il se fait un devoir de vous payer pour vous avoir la peau. Il oublie juste que vous bluffez un peu moins que lui. Après ça, il se recave à $1.500 et fait à peu près n’importe quoi. Il y aussi celui qui, ayant un budget quasi-illimité, joue à la roulette comme un gamin. Il paie les tirages jusqu’au bout. Et s’il vient à gagner un gros coup, ce qui arrive à un moment ou à un autre, vous savez que cet argent ne fera que passer et que vous le récupérez plus tard.
Un tuyau : Au moment où un joueur s'installe à votre table, vous pouvez savoir s'il est prêt à consacrer plus d'argent à son tapis. C'est quand il sort sa liasse de billets de poche pour acheter les jetons. Suivant le taille de la liasse et le détachement qu'il a à donner les billets ou croupier, vous avez un indication sur sa propension qu'il aura à payer une relance à tapis avec une main correcte mais pas max. Propension zéro pour le joueur "one-shot", qui ne va acjeter qu'une cave et ne va pas payer avec n'importe quoi, propension maxi pour celui qui manie son argent avec plus détachement.
Hier, quand j’ai fait ma belle session au Wynn à partir de 13h, j’ai quitté la table à 16h. Je suis revenu à minuit et demie et j’ai vu deux des joueurs de l’après-midi encore là. J’ignore combien de temps ils auront joué en tout, mais ce que je peux dire c’est qu’ils y ont assurément laissé une poignée de « grands » (milliers de dollars), vu que leur tapis était encore plus faible quand je suis revenu que quand suis parti.
A 17h hier, c’était mon troisième tournoi WSOP, le n°16, le Stud à 7 cartes à $1.500. Une fois de plus dans la salle Brazilia, moins grande que la salle Amazon puisqu’elle ne peut abriter qu’une petite soixantaine de tables, excusez du peu. Je me retrouve assis à la table de David Singer, qui va s’avérer être un râleur fini qui ne sourit jamais et qui appelle le floor à chaque fois que quelque chose de vaguement singulier s’est passé à la table. J’ai la place n°2, et comme nous sommes 8, j’ai le tournant, ayant en face de moi au autre joueur français dont j’ai oublié le nom, un joueur d’une petite soixantaine d’années que j’ai déjà rencontré… vers 1997 dans une émission télé qui parlait de jeu d’argent ! J’y présentais alors Poker apprenez l’excellence qui venait de sortir. Comme quoi on est toujours rattrapé par son passé…
Il y a 359 joueurs au départ, nous avons 5.000 jetons et les premières limites sont 25 (ante), 25 (bring-in), 50 (deux premiers tours), 100 (trois derniers tours). Bonne structure donc, avec niveaux d’une heure. Sur la table voisine, Fabrice Soulier, redoutable comme on sait en Stud7.
Quelques bonnes mains dès le départ m’amènent des jetons, et je monte dans la première heure à 8.000 environ. Pendant ce temps-là, Singer ne gagne pas un coup et mon vis-à-vis français arrose le tapis, à la parisienne. A ma gauche se trouve un vieux joueur américain qui mange ses mots au point que je n’entende rien à ce qu’il dit. Ce joueur particulier va recevoir plusieurs mauvais coups, au point d’être le premier de la table à aller all-in, au deuxième niveau. Et pour la première fois de ma vie, je vais voir un joueur de limit envoyer son tapis cinq fois de suite et gagner le coup à chaque fois. Et pas avec de clopinettes, puisqu’il abat toujours au moins brelan ! Mais la sixième sera la bonne. Il ne sera cependant pas le premier de la table à sauter, puisque Singer le fera avant lui. Si je ne me trompe, Singer n’aura pas gagné un seul coup de son court tournoi. Je lui aurai pris deux fois des jetons.
Et dans ce genre d’épreuves, cela ne pardonne pas. Dans la première heure, à la limite, ce n’est pas très grave. Mais dès le deuxième niveau, il faut impérativement que vous encaissiez quelques coups car les jetons filent vite. A fortiori dans les niveaux suivants.
Au troisième niveau, je m’accroche sur un coup à trois joueurs. Je relance dès le départ avec (Q-Q)9, on me comprend, et deux joueurs me suivent. Je reçois un As, et bien sûr je poursuis l’attaque. Je reçois ensuite un Valet, et je pilonne toujours, à hauteur 200 cette fois, sans être relancé. Arrive ensuite un 9 qui me donne deux paires dont une au tableau, et là encore je pilonne et suis suivis. Les tableaux adverses ne sont pas convaincants : aucune paire, pas de quinte ni de couleur précises. Mais je me doute bien que s’ils me suivent, c’est parce qu’ils ont des tirages valables ou au moins une paire moyenne. A cet instant, il y a dans le pot environ 2.000. Je n’ai pas spécialement de crainte, si ce n’est que quand on arrive en fin de coup à trois joueurs, il y en a presque toujours un au moins qui touche, et je veux bien sûr que ce soit moi !
Le donneur me donne ma dernière carte… mais il me la donne face vers le haut. « Oops » fait-il en s’arrêtant. Et c’est une Dame, qui me donne full ! Je sais que dans ces cas-là, il faut donner la dernière carte ouverte aussi aux autres joueurs, et la carte n’est en rien brûlée. Mais j’essaie de me contrôler et de ne pas laisser paraître que cette carte est mon paradis ! Le floor arrive, et décrète ce que je savais : mes deux adversaires vont recevoir leur carte ouverte. Je vois alors des tableaux de quinte et de couleurs, et aucune paire toujours. J’ouvre donc, et je suis relancé, puis sur-relancé ! Chouette, ils ont tous les deux touché leur couleur/quinte ! Evidemment, j’en remets une couche à mon tour, et tout le monde s’aligne puisque de toute façon, on est « cappé », on ne peut plus ajouter d’enchère. Cette fois, le pot avoisine les 4.500. Et je vais l’encaisser…
J’abats mon full, un adversaire jette ses cartes, mais l’autre abat les siennes. Il est à l’autre bout de la table, je vois une couleur à cœur avec de petites cartes… Mais le donneur annonce clairement « Straight flush ». Il a effectivement quinte flush au 7 ! Quelle poisse… Comme si cette Dame salvatrice n’avait été là que pour me faire lâcher 1000 jetons de plus…
Heureusement, il me reste encore un tapis supérieur à la moyenne, donc j’ai de quoi voir venir. Mais jamais, je crois, en 17 ans de Stud, je n’ai subi un tel revers. Je dis à mon voisin de droite, qui est un rigolard avec qui j’échange quelques paroles de temps en temps : « Heureusement que cela m’arrive maintenant, car plus tard dans le tournoi, je serais mort… » En toute chose malheur est bon.
Singer a été remplacé par une vieille connaissance : Michael Mizrachi. On se souvient qu’il a été mon adversaire dans le premier tournoi, il y a quelques jours, et il arrive ici avec un tapis équivalent au mien. J’ai déjà joué Mizrachi avant, à Londres en septembre 2007, au Horse des premières WSOPE. Il ne m’avait pas fait grande impression, mais je sais qu’il est dangereux et a un véritable instinct.
Ensuite viennent quatre coups : perdu, gagné, perdu, gagné. A chaque fois avec des doubles-paires, sauf le dernier… avec une simple paire d’As non améliorée contre un joueur qui a tourné autour de ses tirages sans toucher. Je me méfie des tirages à couleur. Souvent on court derrière sans les toucher. Par exemple, à un moment donné, je reçois trois trèfles dont le Roi, mais je vois trois autres trèfles sortis, et aussi un Roi. Il y a relance… alors je préfère jeter ma main.
C’est dans ce niveau aussi que choisit mon collègue français pour abattre une main exceptionnelle : une couleur à 7 cartes. J’avais déjà vu plusieurs fois des quintes à 7 cartes, que les Allemands appellent pour rigoler « Autobahn » (autoroute, car leur quinte s’appelle route, « Strasse »). Mais je ne me souviens pas avoir vu une couleur totale. Et non, elle n’est pas battue par un full : elle gagne le coup contre le démon à la quinte flush. Il reste environ 230 joueurs.
Puis vient l’arrêt dîner d’une heure. Je file au World Carnival Buffet, où pour une vingtaine de dollars vous avez un choix étonnant avec quantités illimitées. Ce qui est un piège, comme je l’ai déjà signalé. Ce buffet est de loin le plus grand que j'aie vu à Vegas.
De retour sur le théâtre des opérations, les antes passent à 75, le bring-in à 100, la première limite à 300 et la deuxième à 600. A des prix pareils, quand le tapis moyen est à environ 8.000, c’est l’équivalent d’un M de 10 en no-limit. En fait, la notion de M n’a pas vraiment de sens ici, mais si on regarde combien coûtent 8 donnes et si on considère qu’on va miser une fois le bring-in, ce qui est la moyenne, cela nous donne 600+100=700 de mises obligatoires. Soit, en l’occurrence, un M de 11 pour le tapis moyen. Les coups deviennent hors de prix. Mais d’un autre côté, quand on en gagne un, notre tapis fait un bon en avant. D’où l’importance capitale de la sélection des coups dans lesquels ont s’engage.
De coup en coup je jette mes cartes, patiemment. Cela tombe bien, je ne reçois que des mains exécrables. Quinze coups s’enchaînent ainsi sans que je voie la moindre paire au départ, ni trois grosses cartes, ni trois cartes assorties vivantes, qui sont en gros les trois modèles jouables. Pendant ce temps-là, mon tapis se réduit, et j’en suis à environ 4.000. Je dois gagner le prochain coup dans lequel je m’engage.
Arrive enfin le jeu (A-6)A bicolore, et je relance. Un joueur me suit, le même qui avait perdu contre la quinte flush avec moi. Aucun autre 6 ni aucun As n’est visible, je suis serein. A chaque fois je vais miser, et à chaque fois il va suivre. Mais je n’améliore pas jusqu’à la sixième. A cet instant, j’ai quatre cœurs et l’adversaire a une paire de 8 visible mais il aussi 9 et Valet. Il peut avoir déjà deux paires ou quinte, je me méfie terriblement de ce genre de tableaux. Mais il peut aussi avoir juste la paire avec un tirage, ce qui le maintient sur le coup, et c’est plus souvent le cas, donc j’ai bon espoir. La dernière carte m’est donnée, mais je la garde cachée en attendant de voir la réaction adverse. Il regarde sa carte… et checke. Je regarde la mienne… rien. Pas la couleur, pas le brelan, ni même deux paires. Si j’avais une paire visible au tableau, je pourrais attaquer à 600, car s’il n’a pas amélioré ses 8, il devra forcément passer. Mais je n’ai aucune paire visible, seulement A-Q-7-3, et si j’attaque il va forcément me payer.
Donc je suis contraint d’abattre mes As en étant persuadé qu’il a deux petites paires… et c’est le cas : il me bat avec seulement deux paires 8-5 ! C’est aussi le piège des As de donner trop d’espoir…
Maintenant c’est le drame pour moi, je n’ai plus que 1.200. Bien sûr la situation n’est pas catastrophique car si je gagne un coup, je peux me retrouver à 3.000, et si j’en gagne un autre un peu plus tard, à 6.000, ce qui me remettrait en selle… Mais j’ai assez d’expérience pour savoir que cette possibilité est assortie d’une bien faible probabilité…
Deux coups se passent, puis arrive la main (J-9)9. Aucun Valet ni aucun Neuf à l’horizon, alors je complète au bring-in. Mizrachi relance à 300. Aie. Il a une Dame sortie. Ca sent le roussis. Un autre tapis est aussi en perdition, c’est celui du joueur qui m’a battu avec sa quinte flush. Il suit la relance. Dès lors je dois suivre aussi. Et la carte suivante est… un Valet, qui me donne deux paires. Mais celle de Mizrachi est… une Dame, qui lui donne paire de Dames visible ! Il attaque, le troisième larron suit, dès lors, devant une telle cote, je ne peux que suivre. Il reste trois cartes à venir, et devant le brelan ou les deux paires de Mizrachi, il me faut encore un Valet ou un Neuf pour faire brelan.
Mais aucune de ces cartes n’est venue. En revanche, j’ai recu une paire de 3 de plus, qui me fait terminer avec trois paires, ironie de l’histoire. Mizrachi élimine deux adversaires d’un coup, et met fin à ma troisième aventure WSOP 2009. Je regarde l’horloge : elle marque qu’il reste 204 joueurs.
Il est minuit, je rentre dormir en pensant déjà à mon dernier galop, celui du tournoi n°20 de mardi prochain à midi, le Hold’em pot-limit à $1.500. Ce sera mon acte 4.