Guérissez des virus !
Les infections virales nous frappent dans les frimas de l’hiver. Mais d’autres virus nous guettent, nous autres fondus du poker.
Il faut les éradiquer !
Virus 1
Suivre trop souvent et trop longtemps
les ouvertures et les relances adverses
C’est sans doute le virus le plus insidieux de tous. Quand on a J-10 assortis et que le flop est A-9-8, nous sommes vraiment tentés de suivre. Un coup de cote et il n’y paraitra plus !
Nous jouons en no limit. S’il est vrai qu’on va toucher dans 32% des cas si on reçoit la turn ET la river, le taux tombe à la moitié si on ne ne peut tenter que la turn. En effet, si la turn n’est pas bonne (donc pas un 7 ni une Dame), il nous sera impossible de payer une ouverture à la hauteur du pot si on n’a qu’un seul adversaire. Parce que si on le fait à long terme, on sera forcément perdant.
A titre d’info, la probabilité de toucher sa quinte sur une carte à venir est d’une chance sur 6 seulement. Pour ceux qui ont déjà joué à la roulette, c’est à peu près la probabilité de voir sortir le sixain sur lequel vous avez misé. C’est peu...
Remède de cheval : au lieu de vous demander si vous devez passer ou suivre, choisissez entre relancer et passer. Car si vous relancez à la turn dans la situation que j’ai décrite précédemment, et si vous le faites en sachant que l’adversaire a de bonnes chances de ne pas payer une relance, alors votre cote se complète d’un semi-bluff qui vous ajoute une probabilité de gagner le coup à l’arrachage et non à l’abattage.
Ce n’est pas négligeable. Avec ce filet de sécurité : si l’adversaire paie quand même, on peut encore toucher à la river et gagner, et même si on ne touche pas à la river, on peut encore attaquer et gagner par bluff pur. La grande classe. A déconseiller aux sujets cardiaques !
Virus 2
Entrer dans le coup avec des cartes marginales
C’est un virus qu’on a du mal à éradiquer, surtout chez les sujets qui n’ont pas compris la façon dont il infecte.
Beaucoup de joueurs me disent : « Docteur, qu’est-ce que ça peut faire si j’entre sur ce coup puisqu’il me coûte très peu ? »
Vrai d’un point de vue uniquement financier : si vous avez Q-10 dépareillés en position de petit blind, avec un tapis moyen de 500, peu vous importe de payer les 10 qui manquent pour égaliser le surblind. Cela étant, 2 choses :
- rien ne dit que le surblindeur ne va pas relancer après vous (« squeeze play »), et hop, s’il le fait, vous êtes marron car vous ne pouvez pas payer;
- vous aurez la pire des positions pour la suite du coup.
Maintenant voyons ce qui se passe dans la deuxième partie de l’infection. Si avec Q-10, vous touchez le flop suivant : A-10-9. Vous avez la deuxième paire, 3e kicker. Qu’est-ce que vous faites ? Etes-vous assez dur envers vous-même pour reconnaître que vous n’êtes plus favori et que vous n’avez plus rien à faire sur ce coup ? Probablement pas puisque vous n’avez pas été assez dur envers vous-même pour éviter de rentrer avec Q-10 ! C’est comme ça qu’on s’embarque dans un coup en payant les ouvertures adverses, et généralement on y laisse tout son tapis !
Remède de cheval : privilégiez le « trio infernal » en début de tournoi (A-A, A-K, K-K, éventuellement Q-Q). Soyez dur et exigeant envers vous-même, c’est le meilleur moyen de tuer ce virus qui vous ronge !
Ensuite, à partir de la moitié du tournoi (50% de joueurs en moins), assouplissez le jeu, soyez plus opportuniste, plus voleur de blinds, mais là c’est surtout l’expérience qui parle. En contrepartie de ce remède de cheval, vous verrez que le nombre de bad beats va s’effondrer. Vous serez moins souvent attaqué genre uppercut et vous resterez plus longtemps lucide, sans cagoule sur la tête.
Virus 3
Bluffer trop souvent
Je ne sais plus quel grand joueur a affirmé un jour qu’il ne fallait pas bluffer plus d’une fois par niveau de blinds. Peut-être Phil Hellmuth ! Le fait est que cette maladie est l’une des plus insidieuses qui soient, surtout depuis que les aficionados du poker prennent exemple sur les tournois télévisés.
Le bluff prend plusieurs formes mais on a toujours tort d’en abuser. Le début de tournoi, notamment, est doublement dangereux à cet égard :
- les joueurs débutants et malhabiles ne sont pas encore éliminés, or ce sont eux qui paient facilement les bluffs parce qu’ils ne les comprennent pas ;
- les blinds sont bas, donc les pots valent rarement la peine qu’on risque sa vie pour eux, vu le petit gain potentiel.
Remède de cheval : interdisez-vous de bluffer pendant 2 heures d’affilée. A chaque fois que vous y êtes tenté, ne le faites pas. Résistez à la tentation satanique, morbleu ! Cette attitude ne peut évidemment pas être pérenne car il y a des situations où ne pas bluffer est une erreur. Mais comme trop bluffer est une maladie encore plus mortelle, faites votre rééducation et vous verrez que le virus s’éradiquera de lui-même.
Virus 4
Le joueur gentil
Certains joueurs ont le virus de celui qui est là non pas pour gagner mais pour agrémenter les pots. C’est une tendance normale de l’être humain que de rechercher la paix avec ses congénères, donc de ne pas les agresser. Le problème, c’est qu’au poker, c’est une maladie infectieuse !
Non, en Hold’em no limit, vous ne jouez pas pour former la plus forte combinaison mais pour gagner des pots. Certains champions ne jouent jamais les tirages parce qu’ils savent ce que ça leur coûte. Et ce sont des champions, donc faisons confiance à leur médication.
Remède de cheval : Ne jouez qu’à l’attaque et à la contre-attaque. Et aux moments où vous décidez que c’est trop dangereux, soyez tranchant avec vous-même et jetez vos cartes au lieu de payer l’enchère.
Virus 5
Oublier qu’on peut gagner
C’est peut-être le pire de tous parce qu’il forme un terrain infectieux, une toile de fond qui fait que vous jouez forcément mal.
C’est le bon vieux complexe du joueur qui voit les autres gagner, les autres avoir de la chance, les autres toucher de bonnes cartes, les autres éviter les bad beats. Toujours les autres mais jamais moi ! Quand il y a une carte perdante dans les parages, elle est pour moi, c’est sûr !
Comment gagner un jour un tournoi si on est contaminé par ce virus ? Croyez-vous que Federer gagne un match de tennis en se voyant battu avant de commencer ? Evidemment non. La PNL (Programmation Neuro-Linguistique) nous apprend à nous auto-persuader, à nous mettre dans un état de gagnant, à nous dire qu’on n’est pas pire que les autres et que nous sommes tous égaux devant la chance.
Remède de cheval : se regarder tous les matins dans le miroir de la salle de bain en disant tout haut : « Je suis entouré d’une force qui gagne, je suis un gagnant. »
Si vous avez eu la chance de voir le reportage télé sur les WSOP 2004, vous avez vu ce diable de Matusow se prendre 2 gros mauvais coups contre le joueur qu’il avait insulté auparavant, Greg Raymer (et qui gagnera le titre 2 jours plus tard).
Certains joueurs auraient pleurniché en disant : « Je suis maudit ! J’arrête le poker ! Quelle guigne, mais quelle guigne ! »
Lui, il a dit ceci : « Tu es un gagnant, mec, tu vas gagner ce tournoi ! Même s’il a 26 millions de dollars devant lui, tu vas le battre ! »
Y croire jusqu’au bout finit par flinguer ce satané virus.