Bouvard abat ses cartes
Dans le Figaro Magazine du 10 février 2007, Philippe Bouvard intitule sa chronique « Non, le poker n’est pas un jeu à mettre entre toutes les mains ! » Je ne saurais être en désaccord avec ce titre. Mon expérience m’a montré que certains étaient doués pour le poker mais que d’autres n’avaient rien à faire avec ce jeu, à part courir à la ruine et à l’addiction.
Le grand journaliste aux multiples facettes est un joueur de poker notoire et il a commis des parties inoubliables auxquelles ont participé - et participent encore - des noms célèbres qui font la une de bien des journaux.
Il dénonce ici, avec nostalgie, la dérive du poker due à la télé. Je peux le comprendre dans la mesure où, avant la télé, le poker était un jeu secret, inavouable, où les gens de la nuit croisaient les artistes, gros commerçants et macs aux godasses en croco. Quand les hommes d’Al Capone attendaient que le « patron » les mette sur un coup, ils tapaient le carton au fond de l’entrepôt pour tuer le temps. Le poker était un jeu d’hommes, de vrais, pas un jeu de caves ni de demi-sel.
Aujourd’hui, c’est tout le contraire : le joueur est content de passer à la télé, il revendique le poker et il croise d’autres gars qui, comme lui, sont issus des éliminatoires ou, plus rarement, des pros médiatisés et sponsorisés. Et quand il gagne le plus gros tournoi européen, ce joueur peut être un étudiant accompagné de ses parents (cf. Monte-Carlo 2006).
Entre une situation et l’autre, le marché du poker est apparu et la compétition aussi.
C’est ce que déplore Bouvard. Autres temps, autres mœurs… et je me sens assez à l’aise pour en parler puisque moi aussi – quoique moi que lui – j’ai été témoin de la métamorphose. Mais l'homme a l'air de mal accepter cette nouvelle forme, ce qui n'est pas mon cas, loin de là.
Il reste qu’il rappelle une des choses les plus exaltantes qui soient : « monter une table ». Dans Piqué de poker (de Philippe Balland, éditions Balland) et dans le film Havana (avec Robert Redford), cette notion est amplement montrée de l’intérieur. Grâce aux casinos/cercles, à internet, il est devenu inutile de monter sa table pour réunir le quorum des 6 ou 7 protagonistes. Les tables de poker préexistent, il suffit de s’y asseoir, virtuellement ou non. Et même si le nombre de joueurs est insuffisant, on peut toujours pratiquer cette nouvelle version que pour ma part j’adore : le tête-à-tête.
Il semble que monter sa table soit perdu pour toujours. Dommage, car ce passage obligé, à coups de téléphone parfois désespérés et d'adrénaline en quantité croissante, finalement, c’était du poker avant le poker.
Chapeau bas monsieur Bouvard, et merci d’avoir offert aux joueurs du monde, il y a plus de 30 ans maintenant, ce livre fondateur qui a pour titre : « Impair et passe » (« Un oursin sur les tapis verts »).