La stratégie guerrière et le Poker

Publié le par jokerdeluxe

Le récent film La Cité interdite de Zhang Yimou m'a inspiré cet article...
 
L'art de la guerre chinois définit le bluff
Les 36 Stratagèmes, traité de stratégie militaire chinois datant du Moyen Âge, avant même l'apparition des cartes en Europe, apporte un éclairage original sur ce qu'est le bluff.
Appelons "vide" un point faible d'une armée et "plein" un point fort. Alors on peut définir quatre situations basiques :
- là où se trouve un vide, créer l'illusion d'un plein pour que l'adversaire n'ose pas attaquer;
- là où se trouve un plein, créer l'illusion d'un vide pour attirer l'adversaire dans un piège;
- là où se trouve un vide, montrer ouvertement un vide pour que l'adversaire soupçonne qu'il y a un plein;
- là où se trouve un plein, montrer ouvertement un plein pour que l'adversaire pense qu'il s'agit d'un vide.
On n'a jamais rien dit d'autre quand on a parlé de bluff direct et de bluff du second degré. Le poker est donc bien un jeu de stratégie, comme les Chinois anciens nous le prouvent? et malgré l'opinion soutenue par quelques empêcheurs de bluffer en rond.
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1. Paraître faible quand on est fort
Le 2 août 216, à Cannes, sur les bords de l'Ofento (Aufidus), Hannibal défait l'armée romaine en lui faisait subir 65.000 pertes, blessés tués ou prisonniers, dont une centaine de sénateurs? contre seulement 5.000 tués dans le camp des Carthaginois.
Au départ, Hannibal a attaqué de face les capitules romaines en utilisant 5 bataillons apparemment insuffisants pour leur tenir tête. Au plus fort des combats, des bataillons de cavaliers en attente sur les flancs ont encerclé les troupes romaines, semant la panique parmi elles et en venant facilement à bout.
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2. Paraître mort quand on est vivant
En Chine, vers 560, les armées de Chen lancèrent un raid contre la ville gouvernée par Zu Ting, dotée d'un armement insignifiant. Zu Ting ordonna aux gardes de quitter leurs postes et d'interdire toute circulation dans les rues, ainsi que tout bruit, même le plus insignifiant. Quand l'armée de Chen est entrée, elle s'est trouvée dans une ville morte.
Soudain, à un signal précis, tous les habitants se sont mis à crier et à faire du vacarme en même temps. Pris de panique et assourdis, les soldats de l'armée ennemie s'enfuirent.
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3. Paraître timoré quand on est déterminé
A la Bataille de Valmy (20 septembre 1792), dans la Marne, les armées prussiennes commandées par Brunswick s'apprêtent à attaquer l'armée française pour se livrer un passage vers Paris et y rétablir la monarchie. Les Français sont armés de bric et de broc, sous le commandement de Kellermann, et renforcés par l'armée de Dumouriez de retour de Sedan. Ce sont de jeunes combattants sans expérience et Brunswick le sait. Aussi, même avec une armée affaiblie par la dysentrie depuis quelques jours, il sait ses soldats bien meilleurs au combat (à juste titre) et décide d'attaquer.
L'assaut est rapide mais contenu par des troupes françaises compactes et que rien n'arrête dans leur course, galvanisées semble-t-il par un Kellerman qui hurle "Vive la nation !" sabre au clair devant eux. Les Prussiens doivent faire demi-tour pour ne pas se faire écraser. Plusieurs assauts suivent, se soldant tous par un échec? et quelques centaines de pertes seulement. Finalement, Brunswick bat en retraite et parviendra ensuite à convaincre son monarque d'éviter la guerre contre les Français, "les deux armées étant devenus trop puissantes" !
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4. Paraître maladroit quand on est aguerri
En Chine, en ?204, après avoir soumis le royaume de Wei, le commandant Han Xin se préparait à soumettre le royaume de Zhao. Le camp de Zhao (200.000 hommes) de trouvait en face de la passe de Jingxingkou. En travers de la passe coulait une rivière. L'armée de Han Xin, quoique aguerrie, ne comptait que 50.000 hommes. En combattant d'expérience, Han Xin mit sur pied un plan précis en 7 points :
1. Vérifier qu'aucune embuscade ne l'attendait dans le défilé. Ce qui fut fait.
2. Ordonner à 2.000 cavaliers de se rendre sur les hauteurs qui surplombaient Zhao et d'y attendre que le gros des forces ennemies aient quitté le fort. Ce qui fut fait.
3. Ordonner à 10.000 hommes de prendre position dos à la rivière. Ce qui fut fait? et fit plier de rire les hommes de Zhao devant une telle naïveté. Par ce stratagème, Han Xin faisait montre d'une faiblesse feinte à l'ennemi.
4. Attaquer à l'aube l'armée de Zhao aux aguets, puis battre en retraite vers l'armée de réserve restée dos à la rivière. Ce qui fut fait.
5. Laisser s'amplifier l'attaque des hommes de Zhao, encouragés par la déroute adverse. Ce qui fut fait.
6. Faire entrer les 2.000 cavaliers dans le fort dorénavant déserté par ses forces principales. Ce qui fut fait.
7. Le contrôle du fort une fois établi, remplacer les bannières de Zhao par les bannières pourpres de Han Xin. Ce qui fut fait. Quand les combattants de Zhao ont vu que le fort avait changé de mains, la panique s'est emparée d'eux et, dès lors, il fut plus facile aux hommes de Han Xin d'en venir à bout près de la rivière. Ils firent même prisonnier son monarque.
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5. Paraître inexistant pour frapper plus fort
La bataille de Gettysburg a été la plus sanglante de la Guerre de Sécession. Elle commence le 1er juillet 1863 entre une troupe confédérée (Sudistes) commandée par le général Lee en route vers Washington pour prendre le contrôle d'une partie de l'Union (nordiste), mais barrée par les troupes de l'armée du Potomac commandée par Meade. Soit 75.000 hommes contre 94.000. Dès le départ, les Confédérés prennent l'avantage. Le deuxième jour, Lee cherche à déloger Meade de trois collines fortifiées, tenues par les Nordistes au prix de pertes importantes compensées par des renforts permanents.
C'est le 3 juillet que Lee décide l'attaque décisive contre la colline centrale pour dérouter l'ennemi. Il pilonne l'objectif pendant plusieurs heures, puis les tirs nordistes s'espacent, et enfin se taisent. Lee, encouragé par cette faiblesse apparente, lance ses fantassins à l'attaque de la colline. Ils sont accueillis par des Nordistes cachés dans les blés, avec un angle de tir idéal qui cause une véritable hécatombe chez les Confédérés, ainsi que leur déroute. Les rares Sudistes arrivés au sommet de la colline sont abattus ou faits prisonniers.
Le coup de bluff de Meade a fonctionné à 100%. Pourtant Lee, qui part en retraite, n'est pas inquiété : les troupes nordistes sont épuisées et dispersées. Cette bataille a fait 23.000 victimes côté nordiste et 28.000 côté sudiste. La guerre durera encore deux ans.
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6. Paraître maladroit pour voler des forces nouvelles à l'ennemi
En Chine ancienne, un camp fortifié avait été attaqué et assiégé par une armée puissante. Le chef du camp fortifié, à cours de flèches, décida de confectionner 1.000 soldats factices avec de la paille. Il les fit descendre le long des murailles du fort une nuit de demi-lune pour impressionner l'ennemi. Mais au lieu de s'enfuir, celui-ci cribla de flèches les mannequins.
Une erreur d'appréciation débouche parfois sur un avantage : ils remontèrent les leurres pour renouveler leurs munitions puis infliger à l'ennemi de lourdes pertes.
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7. Paraître insouciant contre un ennemi plus fort pour l'effrayer
En Chine, une centaine de cavaliers Han se mirent en chasse de cavaliers barbares qui harcelaient une commanderie. Ils en trouvèrent trois et parvinrent à les neutraliser. Mais à ce moment, ils aperçurent loin devant eux une troupe de plusieurs milliers de cavaliers barbares.
Le chef des Han, au lieu de s'enfuir avec ses hommes, ce qui aurait probablement conduit à leur perte, préféra rester en position face à la troupe barbare. Un cavalier barbare fut envoyé en éclaireur et les Han le tuèrent. Puis, ils se restaurèrent et firent la sieste.
Rendu perplexe par ce comportement, le chef barbare ne voulait toujours attaquer. Il voyait dans ce petit détachement un appât pour le pousser à mener un assaut. D'après lui, le gros de l'armée Han était à proximité, dans l'attente d'une telle action. En pleine nuit, les barbares se retirèrent et le petit détachement Han put rejoindre son armée sans aucune perte.

Publié dans Stratégie

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L
J'y ajouterais bien une devise de Bonaparte, que j'aime particulièrement appliquer dans mon métier d'architecte informatique : <br /> "Les solutions les plus simples sont toujours les meilleures".<br /> <br /> En effet, à objectif identique, les stratégies les plus simples sont souvent les moins risquées et les plus souples à s'adapter au revirements de situations.<br /> <br /> En fait, je pose la question : dans quelle mesure pensez vous qu'elle puisse s'appliquer aux stratégies de Poker ?
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J
Le point 7 est particulièrement intéressant et se rapproche du oak bluff définit par Brunson.<br />
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