Je suis vice-champion !

Publié le par jokerdeluxe

Eh oui : je suis arrivé 2e hier soir aux Euro Finals of Poker, version Omaha pot-limit (PLO). Mon grand regret : je n’ai pas pu épingler mon 3e titre international… je me contente de la 2e place. A croire que je les frôle chaque année car aux EFOP Horse de l’an dernier, j’étais arrivé 3e. Remarquez que si je progresse d’une place chaque année, logiquement je l’aurai l’an prochain, le titre ! Il me reste aussi à travers la gorge cette "bulle" lors des WSOP Hold'em shootout limit de cet été (voir ici : http://www.over-pair.com/article-7087390.html) et je me devais de gagner quelque chose de consistant cet année, en plus des quelques tournois plus modestes mais sans le brillant qu'ont les tournois du palmarès international.
 
Tout a commencé dimanche à 16h à l’Aviation Club de France, ce club qui a pris son envol dans le poker en 1995 avec les cartes que je lui avais fournies à l’époque – mais qui a eu le temps d’en user d’autres depuis, et comment ! Je tenais à participer à l’épreuve EFOP Omaha pot-limit à 1.000 euros car l’Omaha est un jeu qui se raréfie. Alors que Doyle Brunson avait déclaré très sérieusement, en 1993 je crois, que l’Omaha allait détrôner le Hold’em no limit, il est devenu au fil des années un jeu d’élite, toujours joué avec recaves, avec buy-in particulièrement chères. Donc délaissé de facto par les nouveaux joueurs.
 
L’ACF a trouvé une formule intermédiaire avec 1.000 euros freezeout double chance. Pendant la première heure, vous avez droit à une recave gratuite, et ceux qui ne l’on pas prise la reçoivent d’office à la fin de la première heure.
 
Mille, c’est cher, mais ceux qui préfèrent l’Omaha hi-lo pot-limit pourront se repaître jeudi soir d’un freezeout double chance à 250 euros. J’y participerai d’ailleurs, de même qu’au Horse de vendredi à 250, que je ne manque jamais.
 
Bref, déception au départ avec seulement 25 inscrits, puis très vite, les joueurs présents en cash se sont décidés à entrer dans le tournoi. Finalement, c’est 39 joueurs qui se disputent le titre. A ma première table, en face de loin, deux vieux briscards que je connais bien : Paul Testud, que je considère comme l'un des 10 meilleurs Francais, qui se marre tout le temps même quand il vous relance au max, et Chuc Hoang, dont j’ai rappelé dans la Hold’em Master Class 70 les déboires contre un certain Moneymaker en 2003, aux WSOP. Lequel Chuc connaît rapidement la fin de ses souffrances car, fidèle à sa réputation de joueur conservateur, il a fini par entrer avec paire de Rois bien accompagnée, mais s’est heurté à un Testud qui l’a éliminé.
 
Certains pensent que le pot-limit est moins violent que le no limit. C’est vrai préflop où personne ne peut faire all-in sauf si les blinds sont énormes. Mais dès le flop, où une forte ouverture en no-limit consiste à miser les deux tiers du pot, en pot-limit les joueurs agressifs ouvrent directement au pot. Mieux : quand un joueur a ouvert, si le suivant relance en disant l’habituel « pot » (prononcer « pote »), cela équivaut à… 4 fois ce qu’a misé le précédent ! Prenons un exemple rapide :
 
- pot préflop : 1.000
- ouvreur à pot, au flop : 1.000
- Relanceur à pot : 1.000 + 3.000 = 4.000
 
Autrement dit, si l’ouvreur veut suivre ensuite, il doit compléter les 3.000 de plus ! Alors qu’en no-limit, une relance au double suffit le plus souvent, ici elle est… au quadruple ! Le pot-limit est un jeu hyper-violent à partir du flop – parfois aussi dès préflop s’il y a succession de relances – et il faut savoir jeter sa main si on ne veut pas y laisser la peau.
 
Les éliminations ont commencé rapidement. La première a même eu lieu dans les 5 premières minutes. Le floor nous a annoncé alors : « Comme vous n’êtes pas si nombreux, la finale aura lieu aujourd’hui plutôt que demain à 14h comme prévu. L’affaire sera pliée vers deux heures du matin. »
 
Et à deux heures du matin, nous étions encore 7 joueurs !
Avant d’arriver jusque-là, j’ai été déplacé deux fois suite aux éclatements successifs de tables. J’ai mené mon jeu progressivement, en privilégiant l’attaque des petits tapis et en évitant celle des gros. Je n’hésitais pas à jeter mes cartes dès que je pme sentais en danger ou que je n’étais plus favori. J’ai très peu bluffé. Je suis resté chip-leader presque tout le temps, depuis un coup exceptionnel que j'ai gagné au bout d'une heure et demie contre un adversaire qui a relancé à pot sur un tableau apparié, et que j'ai payé avec une quinte (sa relance sentait trop le bluff !).
 
En table finale, le 8e a été vite éliminé du fait de son petit tapis. Puis, curieusement, nous sommes restés à sept pendant plus de deux heures alors qu’il y avait 5 places payées. Mais parmi les 7 ne se trouvaient que des Français, de vieux routiers des cercles à part un jeune à ma gauche qui était loin d’être manchot à la relance. Autour de nous, quelques spectateurs y allaient de leurs commentaires sur le ton de « mais comment font-ils pour rester aussi longtemps sans s’éliminer ? » La réponse est simple : en plus d’avoir des tapis profonds, nous serrions les boulons au maximum et il nous arrivait de ne pas voir un flop pendant dix coups.
 
Cette période a été noire pour moi, car arrivé chip-leader à cette table, au bout d’un quart d’heure et étant surblindeur, j’ai connu un sale coup.
 
J’ai A-2-2-4 dont le tirage max couleur, ce qui est une excellente main de high-low mais nettement moins bonne en high, même si elle a un réel potentiel. Mais j’ai souvent remarqué que quand on était attaqué et qu’on était « en bas », comme l’adversaire possède probablement des cartes fortes, nous avons un petit surcroît de probabilité de toucher un bon flop. En plus, si le flop est en bas, l'adversaire ne vous voit pas en haut donc il peut être tenté de bluffer. J'ai gagné 3 gros pots de cette maniè-re dans ce tournoi.
 
Robert Cohen, « l’instructeur des coups tordus » du stage de Caponga (Brésil) a le tiers de mes jetons et relance au pot préflop. J’ai déjà misé un tiers de l’enchère, alors je paie. Arrive le flop K-3-5 qui me donne le tirage à couleur et tirage à quinte (et non pas quinte faite puisqu’on doit utiliser deux cartes de sa main). Ce n’est pas un jeu formidable mais j’ai beaucoup d’outs. Robert ouvre à pot, et comme je connais l’animal, je pense qu’il peut bluffer ici. Avec mes jetons et mes tirages, je me permets de le relancer à pot car il peut éventuellement passer. Il réfléchit, puis me sur-relance à tapis. Je paie. Il abat deux paires K-5 et le second tirage à couleur, donc inoffensif pour moi. Mais aucun cœur ni aucune quinte ne va tomber à la turn ni à la river et je perds alors mon premier gros coup de ce tournoi.
 
Dès lors, pour une raison que seuls les dieux du poker connaissent, j’ai entamé ma descente aux enfers. Elle a duré une heure et demie, pendant laquelle mon meilleur jeu a été... 3-3-K-10 bicolore ! C’était comme si j’avais eu droit à des mains correctes pendant six heures puis, pour compenser, des mains pourries ensuite. Les blinds augmentant, mon tapis s’est érodé progressivement jusqu’à devenir le plus petit de la table. Et nous étions toujours sept, avec un chip-leader du nom de Gilles qui, lui, augmentait son tapis.
 
Je reçois enfin une main valable : A-A-6-4, hélas en 4 couleurs. Mais par rapport aux précédentes, c’est Bizance ! Je relance à pot, je suis payé, et je vois ce flop : K-10-8 tricolore. C’aurait pu être pire. J’attaque, je suis payé. Arrive un 4 qui ouvre un tirage à couleur. J’attaque à tapis et je suis encore payé. Le jeu adverse est Q-J-8-3, donc une paire de 8 et un tirage à quinte. La dernière est un 6, qui me donne deux paires 6-4 et je double mon tapis. Je respire à nouveau.
 
Le coup suivant (j’écris bien LE COUP SUIVANT), je reçois encore une paire d’As : A-A-10-9, encore quadri, mais c’est une main autrement meilleure que la précédente du fait des tirages à quinte potentiels. Cette fois, le chip-leader attaque à pot. Je réfléchis longuement. Mon tapis n’est plus en perdition, mais je ne suis que 4e sur 7. Mon M est d’environ 16, ce qui reste correct. Mais ma main a un bon potentiel et finalement, je décide de payer. Nous sommes deux à voir ce flop : K-9-4 tricolore. Je sais, vous allez me dire que c’est presque le même que le précédent, mais ça s’est fait comme ça. En tout cas il ne fait pas mes affaires. A mon grand étonnement, Gilles checke. J’attaque à pot avec mes As, il hésite, puis passe.
 
Voilà comment, en deux coups, je suis passé du plus petit tapis au deuxième tapis...
 
A eu lieu ensuite une discussion pour savoir si on attribuait un prix au 7e et au 6e, en prélevant sur les prix des autres. Je ne suis jamais chaud pour « dealer » les prix tant qu’on n’est pas arrivé à 3 joueurs. D’autres étaient de mon avis, quant à Maurice Atlani, il a clos toute discussion avec cet argument : quand un joueur sait qu’il va être payé, il va jouer n’importe comment et la qualité générale du jeu va chuter. Argument inattaquable.
 
Il n’empêche que, quand enfin le 7e a sauté, la question est revenue sur la table. Après quelques palabres, nous avons accepté de transférer 200 des 5 premiers vers le sixième pour qu’il soit au moins remboursé de ses 1000 euros d’inscription.
 
Dès lors les choses sont allées beaucoup plus vite. Michel à ma droite a sauté 6e, mon adversaire d’en face, qui jouait très serré depuis un long moment, a sauté 5e à cause d’un brelan de 3 que j’ai touché miraculeusement à la river (avec un 3 en main, il fallait le faire). Le suivant a été le jeune homme assis à ma gauche dont j’ignore le nom.
 
Enfin nous nous retrouvons à trois. Un coup a fait gagner Robert contre Gilles, ce qui a donné au comptage des jetons : Gilles, toujours chip-ledear avec 90K, Robert Cohen avec 50K et moi-même avec 50K. Robert propose un partage. Gilles propose que les prix soient partagés au prorata des jetons. Comme il y a 30.000 à partager, il propose 14-8-8. Je ne suis pas d’accord dans la mesure où mon tapis est loin d’être ridicule et je me sens assez fort pour le battre. Je propose cependant 12-9-9. C’est bon pour tout le monde dans la mesure où le partage prévu au départ est 16-9-5. Mais Gilles refuse.
 
Le floorman arrive à la rescousse et propose son propre calcul. Calculette en main, il reprend la technique que propose Tom McEvoy dans « Poker de Tournoi ». Comme nous avons chacun le 3e prix garanti, soit 5K, on partage le reste au prorata des jetons, ce qui donne, en arrondissant, 12-9-9. Cette fois, le chip-leader est d’accord, Robert et moi aussi puisque c’était ma propre proposition. Dès lors nous ne bataillons plus que pour le trophée. Et pour moi, il est d’importance : non pas le bracelet en lui-même qui reste sympathique, mais le palmarès. Je cours derrière un troisième titre international depuis 2000, et celui-là ne déparerait pas.
 
Je ne me souviens plus comment Robert a sauté. Je sais qu’il a gagné, perdu, regagné, reperdu, et finalement il s’est cassé les dents sur moi. Je me souviens aussi que, par deux fois, j’avais une bonne main sur un coup où mes deux adversaires étaient déjà engagés, et j’ai préféré quitter le coup pour les laisser s’expliquer, dans l’espoir que Gilles élimine Robert ou que Robert double contre Gilles.
 
Vers quatre heures du matin, nous nous sommes retrouvés face à face, Gilles et moi. Il avait 120K, et moi, 70K. Blinds 1K-2K. Devant ces profondeurs de tapis, vous comprenez pourquoi le tournoi a duré plus longtemps que prévu. Avec des augmentations tous les 45 minutes et une échelle de blinds plutôt douce (de type 100-200-400-600-800 etc), les joueurs ont serré la partie et ce sont des accidents qui ont fait la différence, comme dans les grands tournois de Hold’em no limit. Bravo à l’ACF pour cette structure. Notons cette bizarrerie : la finale s’est disputée avec des augmentations toutes les 30 minutes.
 
Je suis très à l’aise en tête à tête. C’est une des mes spécialités. D’habitude je joue en hold’em no limit, mais en Omaha pot-limit cela ne change guère puisque quand vous relancez à pot préflop, vous relancez en fait à 3 fois le surblind, ce qui est habituel au hold’em no limit.
 
De coup en coup, j’ai réussi à regagner l’équilibre des jetons, puis un joli coup que l’adversaire a quitté à la turn m’a permis de prendre le chip-lead à 120-70 environ. Mais à cet instant béni je ne m’emballe pas. Je me suis déjà vu perdre un tournoi avec un rapport de jetons plus favorable. Je reste concentré, j’observe, je jette (mes cartes), je pousse (mes jetons). Je jette et je pousse, je jette et je pousse. Comme un tango argentin à Paris, sur les Champs avant l’aurore.
 
Nous étions aux blinds 2K-4K quand un mauvais coup m’est tombé dessus. A vrai dire, je ne me souviens plus lequel, mais il a rétabli l’équilibre des tapis. Puis une belle main m’est arrivée, j’ai relancé à pot, Gilles a payé, mais le flop a été totalement nul pour moi. J’ose attaquer pourtant, en bluff total, mais je suis contre-attaqué à pot. Je jette.
 
Cette fois il me reste un quart des jetons environ. Si je gagne à tapis, je rétablis l’équilibre 50-50. Arrive la main A-Q-J-8 bicolore, une main de choix quand on joue en duel. J’attaque à pot, je suis payé. Le flop est A-Q-3, ce qui me donne deux paires max mais aucun tirage. Je n’aime pas ce genre de flop car deux paires sèches à l’Omaha ne sont jamais la panacée. Mais je n’ai pas le choix, après tout je suis probablement favori alors j’attaque. Gilles contre-attaque, je relance à tapis, il paie. Et il abat le brelan de Dames. C’est exactement la main que je redoutais : le brelan. C’est un sale coup. Cela paraît incroyable mais à nous deux et le flop, nous mobilisons les 4 Dames ! Dès lors seul un As peut me sauver pour me donner le full max. Mais il n’arrive pas, et je perds le match.
 
Je ne me fustige pas, je sais que j’ai bien négocié l’ensemble du tournoi, coup après coup, au fil des mains bonnes ou mauvaises. Je n’ai commis aucune erreur non plus en tête à tête, à la fois offensif (j’ai arraché quatre ou cinq pots préflop) et serré, en jetant préflop même en étant surblind. Mais le dernier coup m’a achevé et j’assume, autant que le brelan de 3 miraculeux qui m’a permis d’éliminer le 5e.
 
Tout compte fait, je suis vice-champion d’Europe d’Omaha, pour reprendre l’appellation de l’ACF et ce n’est pas si mal. Restent deux autres EFOP à jouer : l’Omaha high-low pot-limit de jeudi et le Horse de vendredi. Deux autres occasions de titre… A bientôt…

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