Brève escale poker deauvillaise
Deauville fin janvier est, je ne sais pourquoi, un endroit où j’aime me retrouver chaque année malgré la plage balayée par un vent glacial. Il faut dire que la crème des joueurs européens s’y retrouvent pour le premier EPT de l’année, et ceci explique peut-être cela.
Depuis que ma maison d’édition 100% poker Fantaisium est devenue maison d’édition tout court, mon budget temps consacré au poker a fondu comme peau de chagrin. D’autant que ma famille m’accapare aussi, et c’est normal, je ne suis qu’un homme. Ce qui explique que non seulement je joue moins (partie privée bimensuelle + quelques tournois) mais je poste de moins en moins souvent ici. Désolé pour mes fidèles lecteurs !
Deauville est une destination que je connais depuis mon enfance, où je passais une partie des vacances à Courseulles-sur-mer, à quelques encablures vers l’est. Et aussi depuis 1985 où, devant répondre à une commande des éditions Hatier, j’ai débarqué le bec enfariné en octobre au casino pour remarquer qu’il était fermé pour l’hiver.
Eh oui, à cette époque, le casino prenait ses quartiers d’hiver au premier étage d’une grosse masure en arrière de la plage ! Je m’y suis donc rendu, dans la nuit froide : salle enfumée, basse de plafond, mais tant de ferveur et de chaleur autour des tables ! Comme dans un cercle de jeux – je veux dire, comme dans un BON cercle de jeux.
Le casino, il y a quelques jours. J’arrive donc vendredi soir, et évidemment rien n’a changé extérieurement de cette belle bâtisse qui défie les rouleaux. Et toujours cette agitation intérieure, cette pulsation qui électrise les sens dès que des joueurs de poker sont présents en nombre. Avec cet accès par en-dessous vers les grandes salles de jeu particulièrement réussies. Pour moi, c’est le plus beau spot européen de poker, mais enfin, je ne les connais pas tous, vu qu’il y en a de plus en plus !
On l'a dès l'entrée autour du poignet, et tant pis si ça vous gratte
J’étais venu pour jouer un seul tournoi, l’Omaha 550€. J’avais oublié que c’était un turbo. Mauvais point pour les organisateurs : un 550€ de 2014 n’est pas du tout comme un 550€ de 2007. Aujourd’hui, certains high-rollers commencent à 2.000€ quand ils commençaient à 8.000€ il y a 7 ans, les EPT ont quasi divisé par deux le prix de leurs buy-ins, bref : le poker aussi essuie les plâtres de la crise. 550€ en 2013, c’est le prix d’un beau tournoi, pas d’un tournoi turbo avec niveaux d’un quart d’heure, pardon pour les organisateurs. Des niveaux d’au moins une demi-heure auraient justifié ce prix.
Mais j’apprécie tellement le PLO (et le bon air marin) que je suis venu quand même. Et puis c’est l’occasion de croiser de vieilles connaissances, car c’est vrai, si le PLO séduit une frange de jeunes joueurs ambitieux, il a la faveur des vieux joueurs. Robert Cohen, Michel Leibgorin, Philippe Ktorza (qui sera à ma table), Angelo Besnainou, Elias Damouni, Nasrodin Pirmamod… autant de bourlingueurs des tapis verts que je croise et recroise, des survivants. Plus bien sûr des joueurs plus jeunes, souvent étrangers, dont je ne connais pas les noms mais dont je n’oublie pas le faciès, comme à ma table ce joueur que j’avais rencontré au PLO 1.500 des WSOPE 2011 de Cannes, et qui l'avait écumée. Et aussi, un certain Elie Payan, bracelet WSOP PLO en 2011, que je croise à chaque tournoi de PLO possible.
Ca c'est le justificatif de frais pour les impôts s'ils me contrôlent.
Je vous attends au tournant, les gars !
Dans la salle qui n’a rien à envier à celles du Rio, je m’installe à la table 30, place 5, en face du donneur. Nous ne sommes que trois, dont Philippe Ktorza, que j’ai eu l’occasion de croiser plusieurs fois en tournoi par le passé. 10.000 de tapis pour les blinds 25/50. Dès le départ, j’ai quelques bons spots que j’exploite. Dont un heureux, un petit full backdoor contre une couleur max. Je grimpe rapidement à 14.000.
La table se remplit en 20 minutes et les choses sérieuses commencent. En un quart d’heures, quatre joueurs se font rétamer pour avoir surjoué des mains marginales. Mon expérience m’a depuis longtemps appris que, même en turbo, il fallait serrer et privilégier les bons spots : les cartes bien sûr, mais surtout la position, qui d’après moi est bien plus décisive qu’en hold’em. Mais ce n’est que mon avis.
L’Omaha est plus un jeu de tirages qu’un jeu de mains faites, c’est ainsi, et si vous avez JQKA, même rainbow, vous devez jouer le sur-relanceur qui, la plupart du temps, a quelque chose comme AAxx. Vous lui volez son As et divisez par deux sa probabilité de floper le brelan, ce qui en plus augmente légèrement votre probabilité de faire quinte ou wrap de quinte au flop. Ou à grosse couleur si vous avez 2 cartes assorties en main.
Mais toutes les mains ne sont pas aussi idylliques, et souvent il faut se contenter d’un maigre 99Q3 bicolore pour relancer, alors que je jetterai sans hésitation 55AT qui me conduira plus souvent vers un brelan battu.
Bref, j’en termine ici avec ce brin de théorie. Assez vite, mon adversaire de gauche (place 6) monte un tapis de 30.000 suite à deux coups de chance où, avec une main marginale, il a trouvé des bluffeurs dotés de mains plus marginales encore. Je me dis que mon heure va bientôt sonner.
Elle sonne effectivement au niveau 75-150, où je gagne un pot de 3.000 avec brelan de 10 contre un double tirage non amélioré. Puis encore quelques coups dont certains (petits) perdus, et pause d’un quart d’heure.
Au bar, je tombe sur un ancien de l’ACF avec qui je prends un verre. Il va entrer dans le tournoi, avec un M de… 22 ! Mais ça ne le gêne pas, il a déjà relevé des défis plus intenables. Et il me conte sa mésaventure survenue quelques semaines auparavant.
Un soir, il sort de l’ACF après avoir gagné 8.000€. Il retourne en voiture à son hôtel situé à Ivry, se gare dans le parking souterrain… où deux armoires à glace lui tombent dessus et le tabassent. Idem avec sa femme, alors qu’à eux deux ils pèsent autant que deux chats mouillés ! Les talbins y passent évidemment, de même que les téléphones portables et les bijoux, comme de juste. Résultat des courses : hôpital, opérations, et surtout des séquelles gravissimes pour sa femme. D’après lui, il n’y a pas de lien avec l’ACF puisque personne ne savait qu’ils allaient à cet hôtel éloigné. Ce serait une (triste) coïncidence. J’espère que cela ne m’arrivera jamais… En plus de 30 ans de jeu, ça ne m’est pas encore arrivé…
Si vous êtes féru d’histoires de ce genre, il y en a une belle dans le livre Trois mois de loyer, dont j’ai déjà parlé ici récemment. Une lecture « must » pour tout fan de poker qui se respecte.
Reprise du tournoi. Et assez vite arrive ce coup, au milieu du niveau 150-300. Je suis en milieu de parole avec KKT4 dont deux trèfles. UTG relance à 1.000 et je paie seul. Il a un tapis un peu plus profond que moi. Arrive ce flop : 844 dont deux carreaux. UTG attaque à 2.800. Il est très peu probable que mon adversaire ait mieux que moi. Peut-être même que mes Rois suffisent à me mettre devant. Et s'il a 88, j'assume.
Vu la relative sècheresse du flop, j’estime qu’en relançant à la hauteur du pot, je devrais l’encaisser tout de suite. Ce que je fais, et mes 9.200 restants y passent. L’adversaire réfléchit un instant, puis paie de la quasi-totalité de son tapis. Et il étale cette main improbable : JJK6 donc KJ à carreau. Il m’a juste payé avec tirage second à couleur ! J’estime sur le coup avoir dans les 65% d’equity, et après calcul j’en ai effectivement 62%.
Quand arrive le 9 de pique à la turn, mon equity grimpe à 75%. Et quand le 9 de carreau arrive à la turn… je suis éliminé avec brelan contre couleur. Je félicite mon adversaire (je le fais toujours même quand il ne le mérite pas) et je pars au bar prendre un coca.
En Omaha, il y a longtemps que je suis préparé à ce genre de coups, aussi je ne m’emballe jamais et je ne regrette jamais. C’est ainsi, c’est la variance normale du jeu, parfois elle m’aide, parfois elle m’étrille.
J’ai aussi remarqué qu’en tournoi de PLO, il y avait un ou deux barrages de ce type à passer avant de prendre la haute mer avec un tapis profond. Des coups-charnières qu’il faut impérativement gagner. Quand je les gagne, je pratique un jeu sans complexe, MON jeu de PLO favori, et je suis quasiment certain d’aller dans les places payées. Mais si ça ne passe pas, je sors.
J’avais mon plan B en cas d’élimination : le blackjack. Si vous me suivez depuis peu, vous ignorez peut-être que j’ai été semi-pro puis pro au début des 90 et que j’ai écrit plusieurs livres à ce sujet. Or il se trouve qu’à Deauville, le blackjack proposé est le meilleur qu’on puisse trouver actuellement avec mélangeur. On peut doubler sur n’importe quelle main et on peut demander l’abandon (récupérer la moitié de sa mise). On peut aussi reséparer les paires et doubler après avoir séparé. Pour le joueur qui ne commet aucune erreur de tirage, cela conduit à une commission ultra-réduite de –0,4% environ, ce qui en fait le jeu de casino le plus intéressant du point de vue statistique.
La vue que j'ai du 7e box
Si j’en parle, c’est parce que j’ai vécu une soirée blackjack comme j’en ai rarement connue dans ma longue carrière, dans cette salle avec une foule hystérique par moments. Une bande de trois lascars d’une cinquantaine d’années écumaient les tables en jouant toujours le maximum, 500€. Ils avaient chacun dans les 10.000€ en main et misaient sur deux ou trois boxes à la fois. A un moment donné, le plus virulent a mis 3.000€ du fait des séparations et des doublements… et a gagné. Il hurlait de joie. Moi, pendant ce temps, au dernier box, je pratiquais mon jeu patient, augmentant les mises graduellement en période faste, jusqu’à atteindre parfois 90€ sur un coup isolé.
Si j’ai une qualité au blackjack, qui me vient de ma période pro, c’est que je sais me lever au moment opportun. Je m’en suis finalement sorti avec un gain de 580€ qui m’a remboursé du PLO, et en me faisant passer un bon moment. Si vous vous intéressez au blackjack, sachez que c’est un jeu à haute variance, dans les deux sens, aussi bien en gain qu’en perte, et qu’il vous faut par session à peu près 30 fois l’unité de mise par box.
Donc si vous prévoyez de jouer sur deux boxes, venez avec 60 unités, c’est-à-dire 600€ si vous jouez à une table à 10€. Laissez les inconscients attaquer la table avec juste 10 unités, car même si leur jeu est impeccable, 9 fois sur 10 la variance les fera sauter. Quant à votre bankroll, prévoyez 10 séances perdantes par box, soit 3.000€ pour un jeu sur un box. C’est le prix à payer pour la variance, et d’une certaine manière, c’est moins élevé qu’une bankroll de poker.
Mon voisin de droite m’a demandé si j’étais François Montmirel. Celle-là, on ne me l’avait pas faite depuis longtemps ! Au blackjack, j’entends, car au poker j’y suis habitué. C’était un jeune de 25 ans environ, qui ma demandé mon avis sur certains tirages et sur une variante pratiquée par un cercle. Je ne m’étalerai pas sur ce sujet, mais cette variante qui surpayait les blackjacks mais bridait certains paiements lui paraissait inique. Il a failli tomber de sa chaise quand je lui affirmé que c’était exactement le contraire, et qu’elle dégageait même un léger gain pour le joueur. Revenu à mon hôtel, j’ai calculé ce gain : +0,44% pour le joueur. Un vrai paradis…
Le livre mythique du blackjack, Beat de Dealer, d'Edward Thorp, vient de paraître en français sous le titre Comment battre le blackjack. J’en suis la traducteur, et ce livre est au blackjack ce que Poker Super System de Brunson est au poker : un livre fondateur paru en 1966 bourré de conseils et d’anecdotes, qui a été le premier d’une longue série de livres plus spécialisés. Sa lecture s’impose si vous voulez pratiquer le blackjack à votre tour.
Un passage à Deauville agréable donc, fait de hauts et de bas comme la vie, ponctué par une virée célibataire à Honfleur (port traditionnel de rêve) et une balade sur la plage.
Qui était, comme de coutume, balayée par un vent glacial.