Focus sur les récits d’Anouck Vilotte et de Nicolas Dervaux
C’est vrai, dans ce blog vous verrez rarement des livres qui ne parlent pas de technique de poker. Mais il faut dire aussi qu’ils sont rares. Et que ceux qui sortent ne sont pas toujours lisibles.
J'ai cependant à vous présenter aujourd'hui deux petits livres qui méritent de loin la lecture. Si je les présente ensemble, c’est parce qu’ils symbolisent chacun un bord de la table : le donneur (en l’occurrence, la donneuse) et le joueur.
Dans Macadam Poker, Anouck Vilotte se lâche. Cette cocotte-minute habituée de certains forums a imposé son style poétique sur la toile pokérienne. Ceux qui l’apprécient retrouveront sa prose/poésie dans ce fascicule d’une grosse centaine de pages. Là où d’autres se sont cassé le nez, elle, elle l’a fait. D’où son peudo : Hella Fey.
Ce texte est sorti en mai dernier. Je répare donc un oubli en évoquant aujourd’hui ces aventures d’une donneuse qui ignorait au départ qu’elle était faite pour ce métier – enfin pas tout à fait, en fait elle voulait progresser (« J’ai choisi de devenir croupière sur le postulat que cela me permettrait de progresser dans l’échelle des niveaux de jeux. »). Disons qu’elle a mordu au métier à un point qui a dépassé ce qu’elle pensait. La passerelle entre la joueuse qu’elle était et la donneuse qu’elle est devenue s’est installée naturellement, au fil des jours.
Anouck raconte juste ce que nous avons tant de mal à exprimer, tous autant que nous sommes : à quoi nous servons exactement, à quoi le poker sert exactement, et comment il peut exister une synergie entre l’un et l’autre.
Au passage, les doutes d’une joueuse qui se pose des milliards de questions et qui trouve des réponses comme elle peut, quitte à en étouffer la nuit. L’autre côté du miroir : comment vit un croupier, comment ca se passe derrière ce pan de mur sombre où ils disparaissent à la fin de leur service, d’où ils apparaissent au début de leur service. On n’échappe pas aux enfoncées morbides de la joueuse qui se venge sur son PC, avec certaines phrases ciselées, comme : « Je joue par dépit, je perds par défaut. » Mais Anouck est toujours vivante, elle hante certains tournois avec un appareil photo à la main et vous ne manquerez pas de voir son regard malicieux entre deux tables, plongé dans l'objectif.
Macadam Poker est loin d’A toute blind, le petit livre de Nicolas Dervaux. Le postulat du livre est simple : c’est le récit subjectif, au temps élastique, d’un joueur français entre le moment où il découvre le poker en ligne et celui où il gagne à l’international, en live.
Si vous lisez un tant soit peu les news pokériennes, vous avez forcément entendu parler de Nicolas. C’est un des rares joueurs francais qui viennent du billard. On voit mal le rapport a priori, mais dans ce livre, il est direct : le mental essentiellement, mais le physique aussi, pour encaisser des heures de stress.
Le récit est rapide, journalistique, sensible. Il faut dire que Nico n’est pas un perdreau de l'année. Il a découvert le poker en ligne à 31 ans, pas à 14 ans comme la plupart des jeunes prodiges actuels. Il avait déjà bien roulé sa bosse dans le jeu (échecs, billard) et dans le business (co-gérance d'un club de billard). D’un naturel calme et concentré, il a trouvé dans le poker un jeu à sa mesure, même si la part du hasard l’a désorienté au départ. « Sur internet, on est Sherlock Holmes s’attachant à résoudre une énigme en disposant de très peu d’éléments ».
Bien vite il devient pro. Ca a l’avantage de gagner des sommes non soumises à l’impôt mais le désavantage de générer un revenu négatif certains mois. Son rythme est pris, cahotique : « Certains jours, je joue plus de quinze heures. Il m’arrive aussi de ne pas jouer du tout, ou seulement quelques minutes. » Quand il prend la décision de devenir pro, il en informe sa famille qui, sans le dissuader, accepte à reculons. Responsable, il met en place une série de dispositifs pour améliorer ses gains. « Je ne suis pas à la recherche du coup d’éclat, de la flambe. Ma priorité, c’est la régularité en termes de gains. » Il donne quelques exemples de coups, édifiants.
En plus du cash-game online, il s’essaie parfois aux tournois multitables de qualification, les satellites. Et c’est le succès. Il part pour Barcelone où il est perdu dans les joueurs internationaux et ne fait aucune perf. Puis il décolle pour Copenhague, où il termine 6e à l’EPT. C’est d’ailleurs là qu’il se fait connaître du grand public français. Il est approché par un site internet qui le finance en partie. Enfin la consécration : 3e au championnat du monde de heads-up (WHUPC). C’est le Francais qui est allé le plus loin dans cette compétition, hormis bien sûr Bruno Fitoussi qui avait gagné la première édition, en 2001. Après quoi les WSOP de Las Vegas. Il joue un tournoi, il cashe. Net et sans bavure.
Ce témoigne a son intérêt dans sa singularité. Il diffère de ceux de jeunes joueurs qui se qualifient sur internet et connaissent la consécration en 18 mois. Ici on a affaire à un homme déjà bien avancé dans la vie, certes aventurier mais pas plus que ça, qui adopte rapidement le poker en ligne comme unique moyen de survie, en s’imposant des règles de jeu draconiennes. Il ne connait pas grand chose au monde du poker de compétition au départ, se documente peu, a un niveau crasse en anglais. Mais en 2008, il a accumulé plus de 250.000 euros de gains pokériens.
Je trouve que la richesse de ce texte réside dans sa vérité, car c’est certain, ceux qui connaissent le sujet reconnaissent la véracité dans les mots de Nicolas.
A toute blind est une lecture qui plaira aux joueurs sur internet qui peinent à se qualifier et cherchent à suivre un parcours pokérien intelligent. Macadam Poker est plus lunaire, plus féminin dans son écriture. Le quotidien guide le personnage, on se laisse porter au gré des vagues de son flot d’écriture, tantôt balancé, tantôt secoué. Du poker, quoi !
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Macadam Poker, 140 p., 11 x 18 cm, www.pokpok-editions.fr, 9,80 euros.
A toute blind, 194 p., 11 x 19 cm, L'Inventaire, 17 euros.
J'ai cependant à vous présenter aujourd'hui deux petits livres qui méritent de loin la lecture. Si je les présente ensemble, c’est parce qu’ils symbolisent chacun un bord de la table : le donneur (en l’occurrence, la donneuse) et le joueur.
Dans Macadam Poker, Anouck Vilotte se lâche. Cette cocotte-minute habituée de certains forums a imposé son style poétique sur la toile pokérienne. Ceux qui l’apprécient retrouveront sa prose/poésie dans ce fascicule d’une grosse centaine de pages. Là où d’autres se sont cassé le nez, elle, elle l’a fait. D’où son peudo : Hella Fey.
Ce texte est sorti en mai dernier. Je répare donc un oubli en évoquant aujourd’hui ces aventures d’une donneuse qui ignorait au départ qu’elle était faite pour ce métier – enfin pas tout à fait, en fait elle voulait progresser (« J’ai choisi de devenir croupière sur le postulat que cela me permettrait de progresser dans l’échelle des niveaux de jeux. »). Disons qu’elle a mordu au métier à un point qui a dépassé ce qu’elle pensait. La passerelle entre la joueuse qu’elle était et la donneuse qu’elle est devenue s’est installée naturellement, au fil des jours.
Anouck raconte juste ce que nous avons tant de mal à exprimer, tous autant que nous sommes : à quoi nous servons exactement, à quoi le poker sert exactement, et comment il peut exister une synergie entre l’un et l’autre.
Au passage, les doutes d’une joueuse qui se pose des milliards de questions et qui trouve des réponses comme elle peut, quitte à en étouffer la nuit. L’autre côté du miroir : comment vit un croupier, comment ca se passe derrière ce pan de mur sombre où ils disparaissent à la fin de leur service, d’où ils apparaissent au début de leur service. On n’échappe pas aux enfoncées morbides de la joueuse qui se venge sur son PC, avec certaines phrases ciselées, comme : « Je joue par dépit, je perds par défaut. » Mais Anouck est toujours vivante, elle hante certains tournois avec un appareil photo à la main et vous ne manquerez pas de voir son regard malicieux entre deux tables, plongé dans l'objectif.
Macadam Poker est loin d’A toute blind, le petit livre de Nicolas Dervaux. Le postulat du livre est simple : c’est le récit subjectif, au temps élastique, d’un joueur français entre le moment où il découvre le poker en ligne et celui où il gagne à l’international, en live.
Si vous lisez un tant soit peu les news pokériennes, vous avez forcément entendu parler de Nicolas. C’est un des rares joueurs francais qui viennent du billard. On voit mal le rapport a priori, mais dans ce livre, il est direct : le mental essentiellement, mais le physique aussi, pour encaisser des heures de stress.
Le récit est rapide, journalistique, sensible. Il faut dire que Nico n’est pas un perdreau de l'année. Il a découvert le poker en ligne à 31 ans, pas à 14 ans comme la plupart des jeunes prodiges actuels. Il avait déjà bien roulé sa bosse dans le jeu (échecs, billard) et dans le business (co-gérance d'un club de billard). D’un naturel calme et concentré, il a trouvé dans le poker un jeu à sa mesure, même si la part du hasard l’a désorienté au départ. « Sur internet, on est Sherlock Holmes s’attachant à résoudre une énigme en disposant de très peu d’éléments ».
Bien vite il devient pro. Ca a l’avantage de gagner des sommes non soumises à l’impôt mais le désavantage de générer un revenu négatif certains mois. Son rythme est pris, cahotique : « Certains jours, je joue plus de quinze heures. Il m’arrive aussi de ne pas jouer du tout, ou seulement quelques minutes. » Quand il prend la décision de devenir pro, il en informe sa famille qui, sans le dissuader, accepte à reculons. Responsable, il met en place une série de dispositifs pour améliorer ses gains. « Je ne suis pas à la recherche du coup d’éclat, de la flambe. Ma priorité, c’est la régularité en termes de gains. » Il donne quelques exemples de coups, édifiants.
En plus du cash-game online, il s’essaie parfois aux tournois multitables de qualification, les satellites. Et c’est le succès. Il part pour Barcelone où il est perdu dans les joueurs internationaux et ne fait aucune perf. Puis il décolle pour Copenhague, où il termine 6e à l’EPT. C’est d’ailleurs là qu’il se fait connaître du grand public français. Il est approché par un site internet qui le finance en partie. Enfin la consécration : 3e au championnat du monde de heads-up (WHUPC). C’est le Francais qui est allé le plus loin dans cette compétition, hormis bien sûr Bruno Fitoussi qui avait gagné la première édition, en 2001. Après quoi les WSOP de Las Vegas. Il joue un tournoi, il cashe. Net et sans bavure.
Ce témoigne a son intérêt dans sa singularité. Il diffère de ceux de jeunes joueurs qui se qualifient sur internet et connaissent la consécration en 18 mois. Ici on a affaire à un homme déjà bien avancé dans la vie, certes aventurier mais pas plus que ça, qui adopte rapidement le poker en ligne comme unique moyen de survie, en s’imposant des règles de jeu draconiennes. Il ne connait pas grand chose au monde du poker de compétition au départ, se documente peu, a un niveau crasse en anglais. Mais en 2008, il a accumulé plus de 250.000 euros de gains pokériens.
Je trouve que la richesse de ce texte réside dans sa vérité, car c’est certain, ceux qui connaissent le sujet reconnaissent la véracité dans les mots de Nicolas.
A toute blind est une lecture qui plaira aux joueurs sur internet qui peinent à se qualifier et cherchent à suivre un parcours pokérien intelligent. Macadam Poker est plus lunaire, plus féminin dans son écriture. Le quotidien guide le personnage, on se laisse porter au gré des vagues de son flot d’écriture, tantôt balancé, tantôt secoué. Du poker, quoi !
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Macadam Poker, 140 p., 11 x 18 cm, www.pokpok-editions.fr, 9,80 euros.
A toute blind, 194 p., 11 x 19 cm, L'Inventaire, 17 euros.