Phil Ivey perd une fois, peut-être même deux
Dans le conflit qui l'opposait à Genting Casinos UK, le propriétaire du Crockfords Casino qui refusait de lui payer les 12 millions de dollars qu'il avait gagnés au punto-banco, Phil Ivey, le joueur de poker aux 10 bracelets WSOP depuis cet été, a perdu devant la Haute cour de justice, le 8 octobre dernier.
Ses avocats avaient pourtant bien mouillé la chemise, et ses arguments ne laisseraient aucun joueur de poker sérieux insensible :
« Comme je l'ai dit devant la cour, ce n'est pas dans ma nature de tricher et je ne ferais jamais rien qui puisse porter atteinte à ma réputation. Je suis content que le juge ait souligné, devant la cour, mon honnêteté en tant que témoin. Je crois que la stratégie que nous avons mise en place était légitime et que nous n'avons rien fait de plus que d'exploiter les lacunes du Crockfords Casino à prendre des mesures pour se protéger de l'habilité des joueurs comme moi. »
Rappelons qu’il s’agit ici d’une histoire d’edge-sorting, c’est-à-dire qu’Ivey a exploité un défaut du motif du dos des cartes qui les rendait asymétriques. Ivey avait simplement demandé au donneur de faire pivoter d’un demi-tour les cartes maîtresses, ce qui les rendait reconnaissables même après le mélange automatique. (Lire nos articles précédents.)
Phil Ivey, reconnu largement comme le plus grand joueur de poker du monde, a donc perdu une bataille mais pas forcément la guerre, lui qui est rompu aux combats au long cours qui durent longtemps, si longtemps… Il devrait faire appel en toute logique, car il a l’intelligence, je trouve, d’amener son cas sur le terrain du comptage au blackjack, qui a été maintes fois reconnu en son temps par les instances juridiques comme ne relevant pas de la tricherie, grâce à des pourfendeurs tels que Thorp ou Uston. Il ne s’agit de rien d’autre que de profiter d’une faille dans le jeu, autant dans le fond que dans la forme de celui-ci, et c’est bien de cette manière et d’aucune autre que procèdent tous les champions planétaires de jeux de stratégie, y compris les plus nobles comme les échecs ou le go.
Le juge John Mitting a expliqué : « Il s'est donné un avantage que le jeu écarte en théorie. De mon point de vue, il s'agit d'une triche ». On le voit, on est vraiment sur le fil du rasoir.
Puisqu’Ivey peut encore faire appel, nous sommes au milieu du gué d'une procédure qui s’étire dans le temps. Mais comme on pouvait s’en douter, ce verdict était hautement attendu par l’autre casino, le Borgata d’Atlantic City, qu’Ivey avait délesté de la même manière en 2012 de la coquette somme de 9,6 millions de dollars. Les avocats du Borgata ont déposé il y a une semaine une requête à la United States District Court pour qu’elle examine dans quelle mesure elle pourrait à son tour avoir gain de cause. Cette affaire est un peu différente puisqu’Ivey a été payé. S’il devait la perdre aussi, il devrait rembourser le Borgata. Et rembourser un gain est sans doute la chose qui révulse le plus les joueurs.