Poker Tao : la sagesse du joueur de poker (5/5)
Ne vous est-il jamais arrivé, après avoir lu une interview ou un article d’un grand joueur de poker, de vous dire : « C’est bien joli les conseils qu’il donne, mais c’est très vague finalement et je ne sais pas trop comment appliquer ça au quotidien ? »
Si c’est le cas, vous avez été victime du « syndrome du débranché ». Quand l’expert vous explique une chose, il est branché sur son sujet parce qu’il l’a approché de très près, il l’a peut-être même vécu. Mais vous, vous n’êtes pas dans cet état d’esprit. Vous ne l’avez pas vécu, ou alors vous n’êtes pas tout à fait sûr que ce soit bien la même situation, et en tout cas vous arrivez mal à lire entre les lignes. Bref, vous sentez bien que ce que dit l’expert est important, voire crucial, mais il vous manque des éléments, des étapes pour vraiment le ressentir et vous en imprégner.
Larry W. Mhillips, l’auteur de Poker Tao, évite ce travers dans son traité de sagesse pokérienne. Pour une simple raison : c’est à la fois un érudit et un joueur de poker, mais ce n’est pas un expert du poker. Il s’est « fait la main » avec un livre qui a remporté beaucoup de succès intitulé Zen and the Art of Poker, puis il a peaufiné sa pensée tout en conservant à son regard le recul nécessaire au sage. Sa prose reprend la phraséologie du penseur : pas de circonvolutions dans le langage, et des reformulations sous différentes formes de ce qui est vraiment important. C’est ce qui fait que, d’après moi, Poker Tao est un livre vraiment utile pour le joueur.
Oh bien sûr, personne n’appliquera à la lettre les 287 règles qu’il comporte. Ou alors, il sera digne de Lao Tseu. Mais même une seule règle peut suffire à changer raidcalement votre attitude au poker car elle vous aura montré la lumière là où il y avait des ténèbres. Et je suis persuadé que, comme moi, plusieurs règles auront votre préférence. Par exemple, l’approche que fait Larry à propos du tilt est puissante et dérangeante. Il nous conseille, mais aussi nous blâme à propos de nos faiblesses.
Poker Tao sortira le 13 avril prochain. Voici la 5e et dernière règle que je vous propose de découvrir, parmi les 287 du livre.
Comme vous l’avez remarqué, la structure du jeu en elle-même est une sorte de filet de sécurité pour le joueur médiocre. Pour en avoir la preuve, restez debout derrière un joueur médiocre et regardez-le jouer. Mais ne le faites pas seulement pendant une ou deux minutes : regardez-le pendant une demi-heure ou trois quarts d’heure. Vous serez probablement surpris par ce que vous verrez.
La première chose que vous remarquerez est qu’il joue bien plus mal qu’il ne semble le faire vu de l’extérieur (lorsque vous jouez contre lui, de l’autre côté de la table).
Deuxièmement, vous serez stupéfait par les différentes façons dont la chance le protège au cours du déroulement de la partie. Cela se manifeste de manières variées :
– (A) Lorsque beaucoup d’autres joueurs restent dans le coup avec lui (et qu’il ne passe pas comme il devrait le faire), il finit souvent par bien jouer de manière accidentelle, d’un point de vue mathématique, à cause du grand nombre de joueurs.
– (B) En misant aux mauvais moments (en checkant de très bonnes mains, par exemple, ou en suivant des mises avec de mauvaises mains), un certain caractère trompeur accidentel s’ajoute à son jeu qui le rend difficile à lire.
– (C) Lorsque les autres joueurs abandonnent vers la fin du coup, il gagne souvent parce qu’il est l’un des rares joueurs encore dans le coup, gagnant de ce fait “par défaut” (dans les variantes où le pot est partagé).
– (D) D’autres fois, il aura une main exécrable et aura simplement de la chance, gagnant sur tirage en touchant une river miracle.
– (E) De temps en temps il aura vraiment une bonne main et il recevra de l’action parce que personne ne croira qu’il a une bonne main. Ses adversaires penseront qu’il a ses mauvaises cartes habituelles, comme toutes les autres fois.
Combinez tous ces éléments et cela couvre beaucoup de situations de jeu différentes. Collectivement, cela fonctionne comme une sorte de toile en maille de protection pour lui, une toile qui le protège de ses propres actions perdantes.
Les bons joueurs n’arrivent souvent pas à voir ce schéma. Pourtant, c’est indéniable, la structure du jeu elle-même protège le joueur médiocre – et cela arrive pour qu’il continue à jouer. Le bon joueur devrait bien l’accueillir, par conséquent – même si c’est douloureux à voir à court terme.
Presque tout ce que fait de mal le joueur médiocre ne lui fera pas mal – du moins pas sur-le-champ.
Si le filet de sécurité n’était pas en place, la compétence des meilleurs joueurs émergerait rapidement, le joueur médiocre serait écrasé et il quitterait rapidement la partie. En fait, il n’y aurait presque jamais de joueurs médiocres dans quelque partie que ce soit. La structure existe pour que le joueur médiocre puisse tenter de se tirer lui-même dans le pied encore et encore et se retrouve continuellement déjoué dans ses tentatives.
Maintenant, si vous jouez contre un bataillon de tels joueurs, une nouvelle situation surgit. Car pensez à quel point cela va être difficile de les battre tous, en tant que groupe, si chacun d’eux a toutes ces protections mentionnées ci-avant. Il n’est pas étonnant, à la lumière de cela, que l’un des défis d’un bon joueur soit la gestion émotionnelle – conserver sa santé mentale face à cela.
Affronter un groupe de tels joueurs, c’est un peu comme participer à une fusillade dans le Far West contre quatre ou cinq très mauvais tireurs en même temps. Aussi mauvais que chacun d’entre eux soit individuellement, il y a une bonne chance que l’un d’eux va vous toucher, simplement parce qu’il y a beaucoup de plomb sifflant dans l’air. De la même manière, au poker, l’un d’eux est effectivement susceptible de vous tirer dessus, simplement par accident. Il n’y a pas assez de cartes dans le jeu pour tous les manquer.
Bien entendu, les bons joueurs prennent des mesures pour minimiser cet effet – et la première d’entre elles est d’attendre d’avoir une très bonne main avant d’accepter d’affronter ce vil gang qui “ne sait pas tirer droit”. La mission consiste à contourner toutes les protections structurelles dont jouissent les joueur médiocres. Le bon joueur doit naviguer entre ces obstacles sur le chemin de la souricière pour atteindre le fromage.
Et il devrait toujours s’attendre à ce qu’il en soit ainsi. Ces obstacles n’auront de cesse de surgir, mais le fromage est là-bas, et il peut être attrapé.
Si nous considérions tous le jeu de cette façon, peut-être notre mission serait-elle plus facile. Car le fait est que le fromage se trouve toujours dans la souricière derrière ces nombreux bad-beats, victoires sur tirage, joueurs en plein rush… Ces éléments les gardent et les protègent, et font partie du processus. Ils font partie de la progression vers le fromage, et de ce fait, notre progression vers son accession sera toujours irrégulière – une courbe graphique progressant en dents de scie qui ne monte jamais en ligne droite mais zig-zague vers le sommet de la montagne vers la victoire finale.
“Au poker, les revenus ne sont pas linéaires.”
– Steve Badger,
joueur de poker professionnel
Peut-être l’une des clés du jeu est-elle que, après un gros gain, vous preniez à nouveau un siège le jour suivant, ou à la session suivante, sachant qu’il est probable que cela rétrograde à nouveau. Le ballon est fort susceptible de rouler en arrière à mi-chemin vers le bas de la colline une fois encore. Vous devez être prêt à risquer d’en reperdre une partie, comme condition sisyphienne pour aller à nouveau de l’avant. Le joueur doit être prêt à redescendre pour remonter à nouveau par la suite. C’est-à-dire faire deux pas en avant et un pas en arrière, ou peut être un pas en arrière et deux en avant. Ici encore, nous voyons le zig-zag irrégulier progresser vers le haut du flanc de la montagne.
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