Prophète en mon pays
Samedi dernier a été pour moi un grand jour. J'ai gagné un WPT ? Non. Un EPT ? Non plus. Un tournoi national alors ? Toujours pas. J'ai mis fin à une série tenace de 13 tournois live sans cash. J'en avais déjà parlé dans ce blog : j'ai fait face à une série inédite dans mon cas, de tounois live sans ITM. Et samedi, j'ai cassé cette série. Enfin.
Nul n'est prophète en son pays dit-on. Samedi donc, je suis retourné dans ma chère Vendée natale pour y disputer le super satellite à 350 qualifiant pour la finale du JOA Poker Tour, et j'en suis revenu avec une victoire. Je dis une victoire parce que même si nous nous sommes arrêtés à 3 joueurs, j'avais la moitié des jetons et une solide lecture sur mes adversaires restants. J'aurais voulu terminer le tournoi pour le fun, mais le personnel avait d'autres chats à fouetter.
Peu importe. Ma Vendée, qui m'avait déjà gratifié d'une 5e place l'an dernier dans le Million Poker Tour, m'offre encore une table finale, et même une victoire, et un aller simple pour la finale du JOA Poker Tour qui se tiendra dès le 22 août à Antibes, casino La Siesta pour être précis. C'est un tournoi à 2.500 euros avec accession possible par 2 niveaux : des steps 1 à 75 euros (à une table) et des steps 2 à 350 euros (celui que j'ai gagné), l'ensemble formant le JOA-PT en question.
Originalité des plus sympathiques : le tournoi de samedi, aux Sables d'Olonne, s'est déroulé sous une tonnelle, dans une partie aérienne à l'arrière du casino, près des bassins ouverts. Cadre idylique pour ce satellite à 3 tables. Et l'occasion de rappeler au responsable poker, Stéphane Priou, que la seule grande finale qui s'est disputée outdoor a été celle des WSOP en 1997, gagnée par le légendaire Stu Ungar. (Ce n'est pas tout à fait vrai : une finale WPT qui s'est disputée en Caraïbes a aussi été jouée outdoor, et a vu la victoire d'Eric Lindgren, notamment grâce à ses 3 paires d'As gagnantes, ca aide.)
(Ma première table, avec quelques nuages. De gauche à droite : Loic, Inconnu, Jean, Inconnu, moi, Inconnu. L'équation à 3 inconnus, quoi...)
Samedi donc, j'étais l'homme à abattre, bien que je n'aie pas eu de Bounty sur ma tête (ce genre de confiseries collent les cheveux, ca devient vite insupportable). Le super sat se voulait avec une bonne structure et elle l'était : 10K au départ, 25-50 de blinds, niveaux de 30 mn, on peut guère rêver mieux pour un super sat.
Au bout du premier niveau, j'ai bien compris le contraste du field : face à moi se trouvaient aussi bien des flambeurs de base ignorants des cotes que des joueurs moyens habitués de tournois plus modestes, et quelques joueurs plus affûtés (j'en ai dénombré deux à ma table). La gestion de mon tournoi s'est donc faite en partie dans l'attente d'une bonne occasion de déstacker un joueur médiocre, et en partie dans la recherche d'un affrontement de bons joueurs qui seraient faibles en jetons. Cette stratégie a fonctionné à peu près comme je l'attendais, au point d'avoir toujours été chip-leader ou second de ma table tout au long du tournoi.
Un coup illustre bien ma recherche d'effets de levier. Dans ce coup, la moyenne des tapis est de 20K environ, il reste 15 joueurs, et j'ai un tapis de 27K. Le chip-leader de la table a un tapis de 43K. C'est un joueur instinctif et brutal, sans finesse, du moins d'après ma lecture. Je l'attends au tournant car c'est un magnifique réservoir de jetons.
Sur ce coup, j'ai la main et je suis en milieu de parole. Les blinds sont de 200-400, sans ante. Personne n'est encore entré, et je relance à 1.100. Tout le monde passe sauf le chip-leader, qui paie au petit blind.
Arrive ce flop : . Tirage ouvert à quinte et couleur backdoor.
Aussitôt Vilain ouvre à 5K. Il est coutumier des overbets, c'est déjà le 3e que je lui vois faire. Il a cette originalité de bloquer avec un overbet, alors que la technique plus habituelle consiste à bloquer en sous-misant, au maximum à la moitié du pot, pour faire du pot-control. Sur ce coup, il peut avoir une main aussi faible que par exemple. Ma lecture m'indique qu'il n'a probablement pas mieux qu'une paire.
Evidemment, une aussi grosse ouverture doit me faire partir en courant. Mais je réfléchis 3 secondes : si je paie, il me restera 21K, donc le tapis moyen, et ici ce n'est pas ma cote explicite qui compte mais ma cote implicite. Vilain est de ceux qui iront jusqu'au bout si je le relance, d'autant plus facilement qu'il a un gros tapis. Autrement dit, mon espoir de gain si je touche n'est pas les jetons déjà mis, mais le doublement pur et simple de mon tapis. Ce qui me donne, et de loin, la cote pour payer avec mes 8 outs. Ce que je fais.
La turn est le , carte qui me retire le tirage couleur possible et qui réduit mes espoirs de quinte.
Je m'apprête à jeter ma main, quand je vois Vilain ouvrir à... 3K. Comment, 3K seulement ? Sur un pot d'à peu près 12K ? C'est évidemment une aubaine, si l'on met de côté la possibilité (peu probable) d'une main énorme genre brelan. En payant, si je perds il me restera 18K, donc 10% sous le tapis moyen, mais si je touche, encore une fois, je vais presqu'à coup sûr doubler. C'est une cote colossale : 3K pour gagner 51K dans 17% des cas, c'est 3K pour gagner 9K environ en moyenne, cela ne se refuse pas. Donc je paie.
La river : . Cette fois je touche, et même mieux : je suis max. Il ouvre à 5K, j'envoie le tapis à 18K et il paie sans hésiter (d'autant plus, je le reconnais, que ma quinte est peu visible, du fait des enchères). Je retourne mon jeu en annonçant "max". Annonce magique, annonce si rare et si forte en émotion ! J'entends à la table quelqu'un dire "Quel coup de pot !" et je ne relève pas. Tout débat devient inutile quand vous devenez chip-leader avec presque 3 fois le tapis moyen. Au fait, Vilain avait bien A-Q. Comment peut-il payer les derniers 13K ? Mystère.
C'est ce coup qui me met véritablement en selle dans ce tournoi et me donne une sérieuse aisance. Dès lors, je vais faire valoir mon jeu et éliminer les joueurs à chaque fois que ce sera utile, avec l'aide d'un autre joueur, Jean, qui entrait dans à peu près un coup sur deux. Quand commence la table finale, il possède 79K, et moi, 74K. Hélas pour lui, dans ctte finale il n'a pas changé de braquet comme on doit le faire en satellite. Cherchant à tout prix le lead, il s'est pris de sérieux coups, dont deux par moi, alors qu'il aurait pu les éviter en jetant sagement ses mains et gagner son ticket.
Voici le deuxième coup qu'il perd contre moi. A cet instant, il possède à peu près 30K, et moi, 85K. Il reste 7 joueurs, tapis moyen 41K. Je recois la main en milieu de parole, et les blinds sont 700-1.400, ante 100. Personne n'est entré et je relance à 3.200. Jean paie au gros blind, nous sommes deux.
Arrive ce flop : . Mauvais pour moi... quoique. Jean checke, j'ouvre à 5K, il paie. Il est possible ici qu'il ait un As, mais pas un gros sans quoi il m'aurait relancé d'après ce que j'ai pu lire de son style. Il peut avoir par exemple. Qu'il suive ma mise est sans intérêt, je sais, mais telle est la manière de jouer de Jean...
Arrive la turn : . Carte anodine : je me doute qu'il n'a pas le 8, il se doute aussi que je ne l'ai pas. Cependant, il ouvre à 7K. Profite-t-il de la carte menaçante ? Sûrement. C'est un réflexe chez lui, que je l'ai vu souvent faire. Je n'ai rien... pourtant, ayant abattu toujours des paires ou de gros As depuis le début du tournoi, je suis à même de l'intimider si je le relance et si sa mise était un "one-shot".
(Jean vient de me faire un block-bet de 7K à la turn... Réflexion).
Je le relance à 15K (et là, c'est bien un bet-fold de ma part). J'ai une fold-equity suffisante à mon avis car il ne peut pas jouer son tournoi sur une paire d'As petit kicker. J'ai vu juste : il jette, après m'avoir laissé la moitié de son tapis. Jean sera éliminé 3 coups plus tard en 6e position.
La fin de la finale s'est déroulée dans une atmosphère irréelle : des spectateurs qui se pressent autour de la table, une luminosité à peine suffisante, la musique de la boîte d'à-côté qu'on entend en sourdine, et le brouhaha continu de la foule des clients qui se pressent autour des bassins en ce samedi soir moite de juillet...
Quand enfin j'élimine le 4e joueur, je ramasse les jetons tranquillement, prêt à en découdre pour enlever la victoire finale, mais c'est inutile : les 3 tickets sont gagnés. Il est minuit et demie, mes deux autres adversaires (Florent LEPROVOST et Thanouxay KHAMDARANIKORN) me serrent la main, nous nous félicitons mutuellement, c'est la fête autour d'une coupe de champagne, de l'équipe poker du casino et du directeur. Ne confondez pas si vous allez aux Sables d'Olonne : cette station balnéaire compte deux casinos, mais celui où j'ai gagné s'appelle "Les Pins". D'autres pins m'attendent dans un mois, ceux de la Riviera, et je vous dirai alors comment les choses se sont passées. J'y vais gonflé à bloc. Et peut-être serai-je à nouveau prophète en ce pays.
(De gauche à droite : Thanouxay Khamdaranikorn, Florent Leprovost, Stéphane Priou, M. le Directeur dont je n'ai plus le nom... et moi. On voit qu'il reste presque 5 mn à jouer dans le 1.500-3.000... mais nous ne les jouerons jamais, à mon grand regret.)