Splendeur et misère de Phil Ivey
Depuis l’affaire FullTilt, Phil Ivey traîne une mauvaise réputation, et c’est bien dommage car c’est un immense joueur de poker.
Depuis plusieurs mois, des rumeurs de tricherie planent sur lui, non pas au poker, mais au baccarat, c’est-à-dire un jeu de table « de contrepartie », où les joueurs affrontent le casino. On le rencontre aussi sous le nom de « punto banco ». C'est un jeu de "chances simples" : vous pariez sur le gain de la banque ou sur le gain du ponte, ou encore sur égalité. Il s’agit de se rapprocher le plus de 9 en tirant des cartes – pardon de ne pas entrer plus avant dans les détails de ce jeu, mais ce n’est pas le sujet aujourd’hui – de toute façon c’est un jeu inepte !
Donc j’insiste encore une fois sur ce point : au baccarat, le casino est votre adversaire
De plus, il fournit le local, le matériel et même le personnel. Tout ce que vous avez à faire en tant que joueur, c’est risquer vos jetons et en attendre le paiement dans le meilleur de cas. Vu sous cet angle, le principe de la mise en risque de votre argent ressemble au blackjack, car dans ces deux jeux vous pouvez vous lever et vous asseoir quand vous vous le voulez, sans donner d’explication, et toutes les conditions de jeu sont imposées par votre adversaire, le casino, mais acceptées par vous.
Maintenant, les faits : au casino Crockfords et au casino Borgata d’Atlantic City, Ivey a exploité un léger défaut du dos des cartes pour améliorer ses chances – ce que l’on appelle du « edge sorting ». Les infos officielles ne précisent pas de quels défauts il s’agissait, mais je précise bien qu’il ne s’agit pas de marquage impromptu, tel qu’on peut le trouver au poker par exemple, où le tricheur marque les grosses cartes à un endroit précis avec son ongle pour exploiter ensuite cette information. Ici, il s’agit d’un défaut de fabrication des cartes, pas de tricherie active.
Une parenthèse : si le casino demande d’abord aux joueurs de poser leurs mises, puis, après avoir dit « les jeux sont faits », si le croupier sort les cartes immédiatement du sabot, même le plus gros défaut du dos des cartes est inexploitable. Il faut donc croire que le croupier sortait d’abord les cartes du sabot, les posait devant lui faces en bas (à raison de deux cartes pour punto, et deux cartes pour banco) puis attendait que les joueurs misent. Cette procédure est des plus dangereuses pour l’exploitant, car en effet, n’importe quel type de marque au dos des cartes aide le joueur à réduire son désavantage et à le transformer en edge. Les informations officielles ne précisent pas le déroulement exact des coups joués par Ivey, mais s’il a vraiment exploité un défaut, c’est bien qu’il voyait le dos des cartes avant de miser et misait donc là où il avait le plus de chance de gagner.
Les gains visés ne sont pas anodins. Crockford : 9,4 millions d’euros, et Borgata : 7,1 millions d’euros. Dans les deux cas, Ivey a reconnu après coup qu’il avait exploité un défaut des cartes. Moyennant quoi les deux casinos refusent de lui payer ses gains.
C’est là le point sensible de l’histoire. Si vous êtes gladiateur et que vous apercevez un défaut dans le glaive de votre adversaire, si vous gagnez le combat en exploitant ce défaut, votre triomphe sera-t-il remis en cause ? Depuis quand êtes-vous tenu responsable de la conformité des armes de votre adversaire ? C’est à peu près ce qui est arrivé à Ivey. S’il y a un responsable dans cette histoire, c’est le fabricant des cartes et personne d’autre (Gemaco). Il est censé fournir du matériel impeccable au casino, et s'il ne le fait pas, il doit rembourser le casino des pertes éventuelles.
Ivey amène cette affaire en justice et je lui donne raison. Car à moins qu’il y ait d’autres éléments qui l’accablent (par exemple une subornation de croupier ou l’apport de cartes défectueuses sur le lieu du jeu), c’est une affaire à plaider avec une belle probabilité de gagner. Ce à quoi il s'active actuellement.
Cela me rappelle une autre histoire qui a eu lieu en Allemagne en février. Des joueurs de jackpot se sont rendu compte qu’avec une certaine combinaison de commandes, il était possible de gagner à tous les coups. Résultat : 10 millions d’euros raflés en une soirée ! Le casino est responsable de la fiabilité du matériel qu’il exploite, il se retourne donc contre le fabricant dudit matériel, et non contre les joueurs qui ont exploité le bug logiciel. Donc les joueurs ont pu tranquillement repartir chez eux avec leurs gains. Info