Un soir à Enghien
Il fallait que je teste le poker à Enghien-les-Bains (groupe Barrière). C’est fait. J’y suis allé mardi dernier, le 20/05, à 21h, le lendemain de l’ouverture. Parenthèse : j'attends ce moment depuis une vingtaine d'années, celui où enfin le plus gros casino de France proposerait mon jeu préféré à ses clients. J'y ai trainé mes guêtres des centaines de fois comme blacjacker, habitant à l'époque le Val d'Oise, alors vous imaginez aisément mon état d'excitation !
Soyons franc : inutile de critiquer les erreurs de débutant du personnel, car si j’ai bonne mémoire, les débuts de l’ACF ont été folklo eux aussi en 95. Erreurs de donne, lenteur, hésitations sont légion mais c’est bien normal pour un établissement qui démarre. Quand ce rodage sera terminé (disons, dans 3 mois à peu près), les choses iront comme sur des roulettes, ce qui est bien le moins pour un casino !
Un bon point : la salle à l’écart de la salle principale de roulette et des jeux de table. La salle de poker est même isolée par une porte vitrée, c’est du grand luxe : on n’est pas comme à Vegas à entendre les machines à sous qui crépitent pendant qu’on bluffe ! (c’est du moins le cas dans beaucoup de cardrooms)
Autre bon point : le matériel, jetons, cartes et tables, est de premier choix. Le donneur ne perd pas de temps à mélanger les cartes, un mélangeur automatique s’en charge pendant le coup (il utilise donc deux jeux en roulement).
Encore un bon point : cette calculette intégrée dans la table qui permet au donneur de calculer à 20 centimes près le montant du rake -- car ils ont des jetons de 20 c ! C’est simple : c’est 4% du pot. Cela n’a l’air de rien, mais tous les joueurs de cercle ont l’impression (justifiée ou non) que l’établissement les vole sur les tailles. Ici, la question n’a plus lieu d’être. En revanche, contrairement au cercle, le rake n’est pas plafonné. Donc la taille est élevée sur les gros pots. Pendant ma session, j’ai vu trois pots supérieurs à 1.000 à la table à 250, ca faisait un rake entre 45 et 50 euros d’un coup, alors qu’à l’ACF il est plafonnée à 24 euros sur les mêmes tables. Mais les pots moyens à ces tables-là étant aux alentours de 300, le rake est moins dur qu’en cercle à ce niveau.
Un mauvais point : les lunettes noires sont interdites. Moi qui en suis adepte, cela m’a gêné. Je sais que mes yeux « parlent » de temps en temps, du coup j’ai dû rectifier mes habitudes. Ceux qui veulent se rabattre sur les casquettes ont tout faux car elles aussi sont interdites…
Un autre mauvais point mais il est rectifiable : le périmètre du poker reste petit. Sur le coup de minuit, les 6 tables étaient pleines et on refusait du monde, un mardi soir ! Je ne parle pas du vendredi ou du samedi, où j’imagine que les places sont TRES chères… Ils vont devoir doubler le nombre de tables et fissa.
Le jeu à Enghien est élitiste, comme tout ce qui se fait là-bas -- c’est la marque de fabrique de la maison. La plus petite table est à 250, il y en a aussi à 500 et à 1.000. Il n’y a pas de tableau de liste d’attente, celles-ci se font sur un papier géré par un employé. Quand j’y étais, un consultant était présent pour former les donneurs et les floormen au fil de l’eau. La politique d’Enghien est la même depuis des lustres. Chaque croupier doit être polyvalent et doit savoir animer tous les jeux : roulette, blackjack, hold’em etc. Donc les croupiers se forment les un après les autres en se relayant aux tables.
La salle ouvre à 20h15, mais devant l’affluence elle devrait ouvrir plus tôt d’ici à quelques semaines. L’entrée du casino est à 13 euros, il n’y a pas de carte de fidélité ni de carte au mois ou à l'année. C'est un peu plus cher le samedi et moins cher le matin. En revanche, vous devrez posséder la carte CasinoPass, qui évite de montrer sa carte d’identité à chaque fois.
Maintenant, la clientèle. Eh bien les gars, vous allez donker ferme ! Mais attention : si le fish se laisse prendre par filets entiers en ce moment, tramails, lignes de fond, traînes et casiers, c’est parce que l’ouverture de la pêche vient de sonner. Alors attention car cela ne va pas durer. Et j’ajoute que le gros joueur qui s’éclate au poker à Enghien ne connaît en rien des cotes ni des bluffs subtils. Contre lui, il faut donc de la grosse artillerie, des grosses mains bien grasses.
Quoique… Certains sont des éléphants de pointure de compétition, des calling stations qui tueraient père et mère pour voir la carte suivante qui va « peut-être » leur donner quinte ou couleur… C’est ainsi que j’ai gagné deux gros pots avec… une carte isolée, un Roi dans un cas et un Valet dans l’autre, simplement parce que mon adversaire n’a pas touché sa river et n’a pas eu la présence d’esprit de m’envoyer une enchère pour me faire décoller du coup…
J’ai vu en trois heures de jeu des coups comme je n’en ai vu qu’en parties privées, y compris celles entre déconneurs à moitié beurrés. Genre paire de 3 en main qui paie jusqu’au bout, sans améliorer, « parce que j’attendais de faire brelan » (véridique). L’autre, qui avait A-K non amélioré, en était malade. Cette mésaventure lui a coûté 350 euros. J’estime que tous les coups auxquels j’ai assisté, soit une soixantaine environ, il y en a 5 au maximum qui n’ont pas été relancés. Du délire complet.
Je m’en sors avec un gain de 150 euros sans avoir forcé, en jouant 6 coups en tout, toujours contre des tapis plus petits que moi et avec la position par rapport à eux. Mais pour ce faire, j’ai dû recaver une fois suite à un accident : j’ai A-T au bouton, je relance, payé deux fois, et le flop est T-5-6. Check, check, j’attaque à 30 le pot de 50, un seul paie. Turn 9. J’attaque encore, à 100, encore payé. River 7, check… J'hésite, puis je checke, optant pour la sécurité (gros avantage d'avoir la position en cash game !). Bien m’en a pris, il a As-8 dépareillés qui fait quinte ventrale à la dernière… Ce coup de martien décrit bien le type de jeu auquel j’ai assisté ce soir-là.
Je retournerai à Enghien, bien sûr.