Manipulation impromptue

Si vous repérez un joueur timoré, vous aurez beau jeu de chercher à l’intimider ou à en savoir plus sur son jeu en le manipulant, par exemple en lui parlant (ne jamais répondre !) ou en esquissant le geste de la relance tout en l’observant du coin de l’œil.
L’observation attentive des programmes TV laisse entrevoir des bribes de cette manipulation. J’en fais état par exemple dans Poker Magazine de février 2007, où ce vieux briscard de Doyle Brunson est à l’oeuvre. Avec un tirage à couleur au flop, il relance all-in Lederer (qui n’est pas un enfant de chœur) et pose aussitôt sa main gauche sur ses cartes, prêt à les retourner si l’autre paie, comme pour dire : « Paie-moi donc et tu vas voir ce que tu vas voir ! » Exactement comme s’il détenait un « jeu fait », genre paire max, deux paires voire brelan.
Je travaille actuellement avec des joueurs de renom sur les différentes manipulations rencontrées lors des grands tournois. Elles ne se limitent pas aux simples « faux tells » (signes de force ou de faiblesse qu’on émet de manière consciente pour induire l’adversaire en erreur). J’ai moi-même surpris un joueur utilisant une de ces gestuelles… mais de manière involontaire, c’était évident quand je l’ai observé.
Cela se passait à l’ACF dans un tournoi de décembre 2006. L’homme était assis à ma gauche. C’était un jeune d’une vingtaine d’années, de toute évidence peu habitué aux tournois de ce type, mais au jeu réfléchi. Il était au surblind. Deux joueurs paient, et quand son tour est venu de parler, il a levé son poing à dix centimètres au-dessus de la table, devant lui, comme pour s’apprêter à la frapper pour signifier « check ». Jusque-là, que du classique. Mais au lieu de frapper la table, il a laissé son poing en suspens. Il réfléchissait, c’était évident, sans doute pris par la vitesse de l’action. Je ne pense vraiment pas qu’il voulait manipuler qui que ce soit car il gardait les yeux baissés. Au bout de 4 à 5 secondes (c’est beaucoup à une table de poker), il a fini par abattre son poing et le coup s’est poursuivi.
Après coup, j’ai repensé à cet incident en me disant que, sans le savoir, ce joueur avait inventé une nouvelle manipulation. Pour la détailler, disons qu’elle peut se dérouler en 3 temps :
- levée du poing ;
- regard par en-dessous, à la Phil Ivey, pour observer les réactions des joueurs (celui qui ne veut surtout pas être relancé devrait se sentir mal) ;
- prise de décision : poing abattu ou relance.
Je ne vais pas aller au-delà dans cette manipulation particulière car je dévoilerais par trop le contenu du livre que j’écris en ce moment, consacré à la lecture de l’adversaire – d’ailleurs, vu le travail que j’ai actuellement, je dois en repousser la sortie à la rentrée prochaine, au lieu de mai comme prévu initialement. Mais en creusant davantage et en observant toujours plus, je m’aperçois qu’on peut découvrir et même inventer des actions « limites » aucunement condamnables mais qui permettent de glaner ce qui nous manque tant dans le poker : l’information sur l’adversaire.