"Poker Power" 6/6 : Daniel Negreanu
Et nous voici au dernier des 6 extraits de ce livre exceptionnel qu'est Poker Power, à paraître le 29 janvier... Last but not least, c'est un extrait du chapitre le plus important du livre que nous allons voir ici...
Daniel Negreanu n'est plus à présenter. Joueur canadien, pro depuis 1997, il a gagné son premier bracelet WSOP à l'âge de 23 ans. Il détient actuellement le record des gains en tournois internationaux (12,4 millions de dollars !). Star de la télé, c'est aussi un joueur volubile et sympathique, qui a créé un des tout premiers blogs de poker. Il écrit beaucoup aussi dans les magazines spécialisés. Dans Poker Power, Daniel expose sur près de 200 pages son très fameux SMALL BALL, cette stratégie novatrice qui l'a tant aidé à remporter ses tournois, et qui peut se résumer par : "Miser moins pour gagner plus" ! Son chapitre est si riche, si étoffé en concepts et en exemples, qu'il m'a été difficile de choisir l'extrait. Finalement, j'ai opté pour un passage représentatif de l'ensemble, consacré à la question des cartes gratuites.
Donner des cartes gratuites
Tout au long de cette partie, j’ai insisté sur l’importance de protéger son tapis afin de protéger le pot. La conséquence de cette philosophie est de permettre à votre adversaire de voir des cartes gratuites. Ce n’est pas le péché cardinal que souvent les joueurs en font. En hold’em à limites fixes, il peut être vrai que donner une carte gratuite est souvent stupide. Mais en no-limit, c’est essentiel à votre survie et cela vous permet d’éviter de nombreux pièges dans lesquels vos adversaires les plus agressifs vont sûrement tomber et se faire raser.
Il est important de comprendre qu’en jouant small ball, vous connaîtrez davantage de revers et perdrez plus de pots qu’en jouant un poker de grosses mises. C’est la mauvaise nouvelle. La bonne nouvelle est que, si vous êtes émotionnellement stable pour gérer certaines mauvaises passes, jouer de cette manière vous permet de rester plus longtemps dans le tournoi, tout en vous assurant que l’intégralité de votre tapis ne soit pas mise en péril trop souvent.
Voyons quelques exemples.
Action 1 :
Aux blinds $1.500/$3.000, vous relancez à $8.000 préflop en fin de parole avec J-J. Le gros blind vous sur-relance de $20.000 supplémentaires. Vous et votre adversaire avez plus de $400.000 en jetons, donc vous suivez.
Le flop donne 9-7-2 rainbow. Votre adversaire mise $30.000 et vous suivez sa mise, sans être encore certain que vous ayez la meilleure main.
La turn est le 2 de pique.
Votre adversaire checke, ce qui vous donne à penser qu’il a A-K.
Le jeu standard ici serait de miser environ $50.000. Mais si votre adversaire est rusé, il peut vous tendre un piège avec A-A ou K-K. S’il fait un check-raise, peut-être dans l’intention de vous bluffer, vous seriez probablement dans l’obligation de passer. Au lieu de cela, disons que vous checkiez, lui donnant une carte gratuite. Si votre adversaire a A-K, il a juste six outs pour vous battre (trois As et trois Rois). Il touchera un As ou un Roi seulement 14% du temps. En même temps, si votre adversaire essaye de vous tendre un piège avec A-A ou K-K, vous vous donnez à vous-même une chance gratuite de toucher l’un des deux Valets restants.
Si la river est une carte insignifiante, votre adversaire misera probablement avec A-A ou K-K, vous pourrez alors décider si votre paire de Valets est suffisante. Si votre adversaire checke à la river, vous devrez envisager de faire un value-bet avec votre paire de Valets. À ce moment-là, il pourrait vous suivre avec juste hauteur As puisque vous avez affiché de la faiblesse à la turn. S’il a une main comme 6-6 ou 8-8, il est alors très probable qu’il payera un value-bet d’environ $50.000.
Cette situation me rappelle une histoire que m’a racontée un jour Gus Hansen à propos d’un coup qu’il avait disputé contre un joueur qu’il connaissait très bien, un coup presque identique à celui-là.
Action 2 :
Gus relança avec J-J et le gros blind le sur-relança. Gus savait que cet adversaire était un joueur serré et qu’il avait probablement A-K ou une meilleure paire, il décida donc de suivre et de voir ce qui viendrait au flop.
Le flop donna 7-2-3 rainbow et le gros blind checka. Connaissant ce joueur, Gus le soupçonna de lui tendre un piège. Il checka donc après lui.
La turn doubla le Deux.
L’adversaire checka de nouveau. Gus pensa que cet adversaire n’aurait pas checké deux fois avec A-A ou K-K. Il devait donc avoir A-K. Cependant, Gus pensa également que cet adversaire payerait une mise à tapis à la turn avec A-K. De plus, Gus pensait que son adversaire le payerait à la river avec hauteur A-K, qu’il ait touché une paire ou non.
Donc, plutôt que de risquer les 14% de chances de se faire raser, Gus décida de checker ce qu’il savait être le meilleur jeu. De cette manière, si un As ou un Roi sortait à la river, Gus pouvait éviter d’être éliminé du tournoi. En même temps, il ne perdait aucun profit sur sa main puisque sa lecture l’amenait à penser qu’il pourrait mettre tous ses jetons à la river, quand il n’y aurait plus aucun risque que son adversaire ne touche un meilleur jeu que lui.
C’est évidemment un exemple extrême d’une situation où un joueur a une lecture parfaite de son adversaire, mais cela permet d'illustrer l’importance de cette leçon. (Soit dit en passant, Gus fit tapis à la river quand un Quatre s’afficha et son adversaire le paya avec A-K, ce qui permit à Gus de doubler son tapis.) Cela veut dire qu’il est souvent préférable de permettre à un adversaire de toucher gratuitement le jeu pour vous battre dans un plus petit pot que de jouer un gros pot où votre vie dans le tournoi est en jeu avec le risque de prendre un bad-beat et d’être éliminé.
Reculer pour mieux sauter
De nombreux théoriciens du poker seront en profond désaccord avec moi en ce qui concerne le paragraphe précédent, clamant que la meilleure approche est de maximiser son espérance financière sur chaque coup joué. Mais il y a d’autres considérations à prendre en compte. Si vous vous en sortez très bien en tournoi en ramassant de petits pots et pensez être capable de continuer à y parvenir de cette manière, pourquoi risqueriez-vous ne serait-ce que 14% de chances de vous faire raser ? Évidemment, miser tout votre argent lorsque vous êtes favori à 4 contre 1 n’est pas une mauvaise chose, mais s’il existe une alternative vous aidant à éviter de risquer tout votre tapis, vous devez envisager, en fait, de vous résoudre à l’action la plus faible.
Ce concept est difficile à intégrer pour beaucoup de joueurs. Jouer un tournoi de poker, ce n’est pas la même chose que jouer à une partie d’argent. Quand vous jouez pour de l’argent, tout ce qui compte est de faire l’action ayant l’espérance de gain la plus élevée possible. Mais en tournoi, votre espérance de gain est directement liée à la probabilité que vous vous fassiez raser et soyez éliminé du tournoi. C’est la raison pour laquelle vous entendez toujours les pros dire qu’ils veulent éviter les situations à pile ou face. C’est pour la même raison qu’un joueur comme Phil Hellmuth peut jeter une paire de Dix en main contre un joueur qu’il voit avec A-K, malgré le fait qu’il soit favori à 57%. Il ne veut pas prendre le risque d’être éliminé 43% du temps, parce qu’il pense véritablement qu’il peut monter un tapis sans prendre ce genre de risques.
Je suis d’accord avec lui. Si vous voulez être un gagnant régulier dans des tournois où des millions de dollars sont en jeu, c’est un concept que vous devez intégrer.
© Fantaisium 2010. Traduction Samantha Delmas. Tous droits réservés.
Extrait du livre Poker Power qui paraitra le 29 janvier 2010. Les autres articles sont des extraits signés Evelyn Ng, Todd Brunson, Erick Lindgren, Paul Wasicka et David Williams.