Poker victory sur le Léman
"Poker, tout un art" était une exposition organisée à l'initiative de la Loterie Romande , qui s'est terminée aujourd'hui 14 mai au Musée du Jeu de Vevey, sur les rives du lac Léman, près de Lausanne. Initiative sans précédent où se sont croisés des conférenciers (dont le collègue Michel Abécassis), des instructeurs aux subtilités du Roi des jeux et, bien sûr, des visiteurs de tout niveau, y compris du niveau zéro, avides d'en savoir plus. Le thème de l'exposition était le poker et le cinéma. J'ai eu le plaisir d'y admirer des scènes célèbres, du Kid de Cincinnati aux Joueurs en passant par Pour une poignée de dollars et Maverick. Quelques raretés aussi, comme une magnifique pochette de LP d'un groupe de rock représentant, sur le mode BD, une tablée de joueurs en pleine effervescence. A l'occasion du lancement du jeu à gratter "Poker", le pendant suisse de la Française des Jeux a décidé d'embarquer deux bonnes centaines de VIP (journalistes, invités de marque, leaders d'opinion) dans une croisière de quatre heures à bord du steamer à aube "Le Simplon" sur le lac Léman, le samedi 13 mai au soir. Le côté original : ils ont prévu d'organiser à bord un vrai tournoi opposant 10 joueurs, en direct, avec trois prix : 10.000, 15.000 et 25.000 francs suisses pour les troisième, deuxième et premier joueurs. Avec une particularité : ces prix seront remis aux associations caritatives choisies par les lauréats eux-mêmes.
Je faisais partie des joueurs conviés. De même que :
- Salomé Lelouch, Alexia Portal et Olivier Sitruk, acteurs;
- Thierry Meury et Jean-Charles Simon, célébrités suisses;
- Cyril Hanouna, animateur radio;
- Michel Abécassis, Claude Cohen et Bruno Fitoussi, pros du poker.
Vous aurez compris que c'est ce tournoi qui m'amène ici. Après une séance photo charmante avec deux adorables reines de beauté fraîchement émoulues, il a démarré à 20h45 sur une mer (pardon, un lac) moutonneuse et venteuse, battue par une pluie de novembre. La table était importée des USA spécialement pour l'occasion et entourée de trois caméras télé en vue d'un reportage en différé pour le service communication de l'organisateur. Lequel nous a bien précisé avant l'opération qu'il avait eu un mal de chien à obtenir l'autorisation, les eaux du lac Léman ne faisant pas partie des eaux internationales, donc soumises au diktat d'une loi suisse qui ne ménage pas le poker.
Ca tombe bien, on aime le risque, alors on prend sans sourciller celui de se retrouver au gnouf de la brigade de Genève, allusion qui fait sourire notre hôte car il sait que l'effet publicitaire en serait décuplé.
Les caves sont de 2.500, blinds 25-50, augmentation toutes les… 20 minutes, eh oui, il faut que le jeu se termine à 23h30 dernier carat. Dès les premiers coups s'engage donc un tournoi à haute portée symbolique mais auquel je compte bien donner le meilleur de moi-même. J'ai tiré la place n°5, face au croupier, ce qui me donne une vue panoramique sur les joueurs.
Deuxième coup : je reçois A-A et je vois l'avenir d'un bon œil. Je joue mes As agressivement comme (presque) toujours et j'accroche Alexia qui finit par jeter ses cartes au flop. Me voilà chip-leader.
Claude Cohen est le premier à sauter sur un coup de bluff que l'ami Simon a analysé comme tel. Pour la suite du tournoi, il ne cessera d'encourager ses coéquipiers dans notre lutte vers la victoire. De mon côté, je me maintiens au fil des coups en relançant préflop systématiquement dès que je vois une main. Ce qui fera dire à Bruno : "Tu relances quatre fois dans l'année et tu viens de relancer quatre fois en une heure !" Ironie sanctionnée quelques minutes plus tard quand, faisant all-in avec une main d'attaque, il est payé par deux joueurs dont l'un le couvre. Et il saute à son tour.
Il est suivi, comme dans la foulée, par Olivier et Cyril dans un combat fratricide : le premier a trois piques splittés au flop, l'autre a brelan de Cinq, et voilà deux piques qui tombent à la turn et à la river pour une couleur gagnante. Cote au flop : 4% environ, et pourtant elle rentre ! Applaudissements déchaînés autour de la table, le public en a pour son argent -- d'autant qu'il est venu gratuitement. Olivier poursuit le tournoi avec un tapis énorme, qui se fera écorner par des attaques ciblées répétées. Je serai l'homme qui lui donnera le coup de grâce, continuant les combats avec un chip lead contrôlé.
Michel, de son côté, en sage, a vu son tapis baisser graduellement tout en restant en piste. Il fait all-in contre un Suisse poursuivi par une chance désarmante, et qui gagne encore, excluant le bridgeur du match.
Une pause a lieu pour nous remettre de nos émotions. Et je fais un rapide bilan. Nous ne sommes que cinq survivants : les deux femmes, les deux Suisses et moi. J'ai le deuxième tapis avec 8K. Je n'ai perdu aucun coup dans lequel je suis entré, mais je ne suis entré que dans six coups et je n'ai abattu qu'une seule fois. Serrer paie. Ca fait quand même drôle de voir trois pros sur quatre sauter dans la première moitié du tournoi.
Le jeu reprend à 100-200. Le premier coup après la reprise me donne A-3 à carreau. Je suis surblind. Le bouton suit, le blindeur aussi. Je pourrais relancer mais le bouton est un des deux suisses qui paie à peu près tout pour voir le flop. Donc je checke. Et le flop s'affiche : A-9-3 à trèfle. J'ai deux paires, donc j'ouvre à la hauteur du pot. Alexia fait all-in à 2K environ, mon adversaire helvète la relance au triple. Autant dire mon tapis. L'œil brillant du relanceur me laisse deviner la couleur faite. Je jette mon jeu et j'ai raison : il abat K-T à trèfle. Exit Alexia.
C'est une joueuse redoutable qui s'est déjà illustrée plusieurs fois dans des tournois importants et je la salue ici. Restent quatre joueurs, et le commentateur d'affirmer à juste titre que, quoi qu'il arrive maintenant, il y aura un Suisse dans les places payées.
Salomé a un tapis réduit, mon voisin suisse aussi. C'est pourtant ce dernier qui va sauter d'abord, sortie saluée par les applaudissements nourris de ses compatriotes. Heureusement pour lui, ce n'est pas son collègue qui l'élimine mais moi-même, grâce à K-K contre A-T. Le flop était tricolore au Dix, je n'ai donc pas hésité à le mettre all-in, et ni Dix ni As n'est tombé ensuite.
Dès lors, les trois "payés" étaient connus : Salomé Lelouch, Thierry Meury et moi-même.
Je reconnais ne pas être fier dans l'élimination de Salomé qui a suivi, simplement parce que l'actrice n'avait plus qu'un tapis capable de payer une surblind. Mon Trois a fait paire à la turn et a battu son As isolé. Joueuse instinctive, vive et pourtant prudente, je lui tire ici mon chapeau.
Reste alors le tête-à-tête final, que j'aborde avec le plus petit tapis : 9K contre 16K. Une dizaine de coups vont se succéder où toutes mes attaques vont être payées ou contrées, mais gagnantes au flop. J'arrive même à le désarçonner quand, ayant ouvert au flop, il me pousse à jouer mon va-tout en faisant all-in en bluff; il passe. Mon adversaire, de son côté, met un point d'honneur à relancer préflop à chaque fois qu'il a le bouton pour me voler le blind, et il y arrive un coup sur deux. Bilan des courses : à la fin de ce premier galop, les tapis ont varié en ma faveur : 11K contre 14K. Mais les blinds, eux, sont passés à 500-1.000.
Arrive le coup-charnière. J'ai Tk-7k, je suis au bouton. Je paie. Le flop : JcAcJs.
J'observe une fois de plus mon opposant, le flop n'a pas l'air de le satisfaire. Il ouvre comme à son habitude. Alors je fais all-in. Il réfléchit dix secondes puis décide de suivre. Le public émet des sons bizarres quand il voit ma main, mais je me trouve plutôt bien parti quand je vois celle de mon adversaire : 5c4c.
Il lui faut un trèfle pour gagner… une chance sur trois. Et là, miracle du poker live, le tableau se complète d'un Dix et d'un Sept, aucun trèfle, et me donne deux paires dont, finalement, je n'avais que faire puisque j'avais deux overcards sur mon adversaire.
Coup monstrueux ! Et bluff curieux, car bien que payé, je termine gagnant. Sincèrement, une deuxième place m'aurait suffit : j'aurais laissé la première, légitime, à un Helvète et tout le monde aurait été content. Le sort en a décidé autrement.
Dès lors, le rapport de force était inversé. J'avais 20K, lui avait 5K. J'avais la ferme intention de faire all-in dès le prochain coup. Lui, sans doute fatigué, m'a devancé : parti avec K-9 dépareillés, je le relance préflop, il fait all-in direct. Je paie évidemment. Il retourne 6-4 dépareillés. Je devine qu'il en avait assez de cette soirée. La troisième carte du flop est un Roi… et la river aussi. Je termine brelan et je gagne.
Beaucoup d'applaudissements, une atmosphère un peu survoltée, beaucoup de félicitations, notamment de mon adversaire pour lequel j'en ai autant. Comme regrettant de n'avoir pas laissé ce titre sur le territoire helvète, je me risque à scander "Vive la Suisse" trois fois de suite, ce qui fait se pâmer l'audience (j'en ai fait un peu trop, là). J'offre mes 25.000 francs suisses (env. 15.000 euros) à la Croix Rouge internationale.
J'ai beau me dire que ce tournoi n'entre dans aucun palmarès, qu'il est d'abord un "tournoi exhibition", je l'ai malgré tout gagné à la loyale et j'en suis fier. Fier aussi, plus encore peut-être, d'avoir pu attribuer un don conséquent à une association humanitaire. Un grand merci au passage à l'agence Carré, dont fait partie Antoine Dorin, le président du FPT, pour avoir collaboré à l'organisation de cet événement. J'espère bien qu'il sera possible un jour de le renouveler, en France cette fois, histoire de mettre en valeur auprès du grand public ce jeu qu'on apprécie tant.