Mon avis sur les satellites « hit & run »

Publié le par Francois M.

Mon avis sur les satellites « hit & run »

Depuis quelques années, une nouvelle espèce de satellites se rencontre de plus en plus dans les festivals de poker live (je n’en ai pas encore vu online, mais il y en existe peut-être) : les satellites « hit & run ».

En clair, il ne s’agit pas de faire du « last longer » comme dans les satellites classiques, où les joueurs qui restent le plus longtemps en jeu se voient accorder leur ticket. Dans cette nouvelle version, les tickets sont attribués progressivement aux tapis qui atteignent un objectif défini au départ, le plus souvent compris entre 5 fois et 10 fois le tapis de départ.

Prenons l’exemple d’un satellite où 55 joueurs participent pour un buy-in de 265€. Le tournoi-cible est un high-roller à 2.500€. Le satellite propose 5 tickets, plus 2.075€ en cash pour le 6e. Jusque-là, rien que de très habituel.

La différence est le mode de qualification. Dans cet exemple, le jeu commence avec 20.000 jetons par joueur, puis les mains se succèdent, des tapis montent, d’autres descendent, d’autres encore disparaissent. Et le premier joueur qui atteint un tapis d’au moins 200.000 jetons remporte le premier ticket. Le deuxième à toucher l'objectif des 200.000 gagne le deuxième ticket, et ainsi de suite, jusqu’au sixième, qui repart avec les 2.075€ de cash. A cet instant le satellite s’arrête car il n’y a plus rien à distribuer. Ce qui explique d’ailleurs pourquoi les « hit and run » durent moins longtemps que les satellites classiques.

En général, l’objectif est de monter entre 5 et 10 fois le tapis de départ. Dans le satellite-exemple, le tapis de départ est de 20.000 jetons, et on l’a vu, le ticket est gagné à 200.000, soit 10 fois plus. En gros, le coefficient multiplicateur est le même que celui entre le buy-in du satellite et le buy-in du tournoi-cible. Dans l’exemple, le satellite est à 265€ et le tournoi-cible est à 2.500€, et il s’agit de multiplier par 10 le tapis de départ. Mais si le satellite avait été de 215€ pour un tournoi-cible de 1.000€, l’objectif aurait plutôt été de réaliser 5 fois le tapis de départ. C’est la logique qui sous-tend ce genre de satellite.

Ajoutons que quand un joueur gagne le ticket, ses jetons correspondant à l’objectif sont retirés du tournoi, mais ceux qui excèdent l’objectif sont remis en jeu comme dead-money pour le pot suivant, ou, selon les conventions, ils sont distribués à part égale entre les joueurs de la table.

Pour ce qui me concerne, j’ai une philosophie simple : je suis prêt à accepter en gros toutes les règles et toutes les conventions tant qu’elles s’appliquent à tout le monde et ne créent pas de biais. Un tournoi de poker est comme une course au large. Qu’il y ait gros temps ou une mer d’huile, tous les compétiteurs subissent le même état de la mer et les mêmes conditions météo, donc aucun n’est favorisé par rapport aux autres. Changer le système d’attribution des tickets n’est donc pas un problème.

Le problème regarde chaque joueur individuellement, car chacun va devoir faire un gros effort d’adaptation. Et en l’occurrence, tous les joueurs qui étaient habitués à l’ancienne formule des satellites vont devoir faire leur petite révolution copernicienne.

 

Une stratégie opposée à la stratégie traditionnelle

Dans l’ancienne formule, comme je l’explique dans mon livre Poker Satellites, il faut mettre en place non pas une stratégie de conquête mais une stratégie de survie, car dès que le quota de joueurs atteint le quota de tickets disponibles, le satellite s’arrête, tous les survivants reçoivent leur ticket et embrassons-nous Folleville. Dans cette formule classique, le chip-leader est payé autant que le « survivor » auquel il reste deux ou trois blinds : avec un ticket unique. Beaucoup d’entre nous ont testé cette circonstance où l’on a renoncé à de nombreuses situations de jeu en privilégiant la survie à tout prix et en tablant sur les erreurs de protection adverses. C’est cette formule-là qui prévaut toujours dans la plupart des satellites en ligne, mais de moins en moins dans les satellites live.

Avec la nouvelle formule "hit & run", la stratégie s’inverse. On passe du marathon au sprint pur et dur. Seuls les premiers de cette course seront récompensés. Cette course commence véritablement quand le premier ticket est attribué. Car c’est le signal que, maintenant, le nombre de tickets ne va faire que diminuer et qu’il n’y en aura que pour ceux qui auront pris les risques et fait les efforts nécessaires pour aller les décrocher. La stratégie d’attente qui prévalait dans l’ancienne formule devient contre-productive. Il s’agit maintenant d’appliquer une stratégie de conquête, et ce, dès la première main.

Au fur et à mesure que les blinds augmentent, vous devez impérativement viser le chip-lead de la table, ou à la rigueur le 2e tapis. C’est votre objectif premier. Face à des joueurs qui ont mal compris la stratégie de conquête ou qui n’ont pas encore fait leur conversion à cette nouvelle formule, vous vous trouvez presque dans chaque main comme dans une situation de bulle. La table tend vers la paralysie, et vous devez rechercher les situations où l’agression paie :

  • La position est essentielle. La position, c'est le pouvoir. Privilégiez la fin de parole. Oubliez les mains en début de parole qui trouvent mal leur equity au flop, comme A6, K9, etc. Préférez les jeter en début de parole. Préférez les jouer à l’agression au bouton, quand tout le monde a passé, pour encaisser les pots délaissés.
  • La profondeur adverse est aussi importante. Avec un tapis faible, ne craignez pas d’attaquer un gros tapis si vous êtes dans le haut de votre range de mise ou de 3-bet (souvent all-in préflop dans ce cas, pour bénéficier au mieux de votre fold-equity).
  • Avec une main premium (AK et QQ+) et un petit tapis, n’hésitez pas le squeeze all-in.
  • Profitez systématiquement des flops menaçants, comme les flops monocolores ou appariés, avec un probe-bet ou un check-raise pour effacer le continuation-bet adverse fait avec air. On sait que 2 fois sur 3, le continuation-bet adverse est un bluff (ce point est amplement développé dans mon Essentiel des Probabilités au Poker). Il faut exploiter cette situation avec une contre-attaque au double (min-raise).
  • Vous pouvez aussi tirer parti de cet aspect. Avec une main spéculative comme 67s au bouton, et deux adversaires qui ont limpé avant vous, appliquez les directives du small-ball de Negreanu avec une relance à 2,5BB ou 3BB (lire son incontournable Poker Power). Si au moins un adversaire reste en jeu, maintenez l’attaque au flop s’il contient au moins une broadway ou un tirage qui vous est favorable. Le small ball a cet avantage énorme d’avoir une attitude agressive tout en coûtant peu de jetons, car l’essentiel des enchères ont lieu préflop et au flop.

Vous l’avez compris : les agressions doivent être ciblées spécialement pour glaner le maximum de jetons cumulés à travers des pots petits/moyens. Mais gardez bien à l’idée que cette attitude large-agressive fait baisser automatiquement votre fold-equity à la longue : même si vous n’abattez jamais, les adversaires se rendent bien compte que votre fréquence d’attaque excède largement la fréquence moyenne, donc que vous utilisez des ranges ultra-larges, donc une proportion anormalement forte de mains marginales. Résultat : ils peuvent être tentés, les minutes passant, d’élargir eux-mêmes leur range de call en y incluant les bluff-catchers de rigueur, ce que vous devez prendre en compte en resserrant votre range aux bons moments.

Si vous avez correctement appliqué cette stratégie et si les cartes ne vous ont pas brimé, vous devriez arriver à l’approche du premier ticket gagné avec un tapis qui se situe entre le double du tapis de départ et la moitié de l’objectif. Vous êtes encore loin de l’objectif final, mais vous êtes sûrement chip-leader de votre table ou pas loin de l’être, qui est l'objectif intermédiaire.

Pendant cette période préalable à l’attribution des tickets, il y aura beaucoup de joueurs en enregistrement tardif et de joueurs en re-entry. Tous auront en commun l’inconvénient d’avoir un tapis inférieur au vôtre, et aussi celui de ne pas connaître la table. C’est le moment de les viser car vous avez une fold-equity énorme. Ces tapis sont des jetons faciles à prendre pour vous. Si vous ne les prenez pas, ce sont vos adversaires qui le feront, et ils arriveront avant vous au ticket, ce qui peut vous en priver au final.

 

La bulle du premier ticket

La bulle du premier ticket est atteinte quand plusieurs tapis sont proches de l’objectif. C’est pourquoi c’est une bonne chose de vous lever de temps en temps pour évaluer les tapis des tables environnantes. Idem à la première pause, qui a généralement lieu après quatre ou cinq niveaux. Prenez le temps d’inspecter les profondeurs des autres tables en plus de la vôtre. En gros, s’il y a au moins quatre tapis qui sont à 80% de l’objectif, vous pouvez considérer que le premier ticket va tomber dans le quart d'heure.

A ce moment qui coïncide assez souvent avec la fin des re-entries, le nombre de participants a été divisé environ par deux, ce qui vous rend la tâche plus facile (s’il y avait 1 ticket tous les 10 joueurs au départ, il y a maintenant 1 ticket tous les 5 joueurs, c'est plus confortable).

 

Après le premier ticket

Les choses s’accélèrent brutalement dès que le premier ticket a été gagné, comme dans un tournoi normal après l’éclatement de la bulle. Les tickets deviennent une espèce en voie de disparition. A ce stade, soit vous n’êtes déjà plus là du fait d’un bad-beat, soit vous êtes toujours là, mais avec un tapis qui est au moins égal à la moitié de l’objectif, si vous avez correctement manoeuvré. Pour reprendre l’exemple ci-avant, avec un tapis de départ à 20.000 et un objectif à 200.000, quand le premier ticket tombe, vous devriez posséder environ 100.000 jetons. Vous pouvez avoir moins, mais dans ce cas, il faut espérer que vous soyez chip-leader de votre table, ou 2e en jetons et proche du chip-leader.

C’est là que ceux qui ont des nerfs vont pouvoir s’exprimer. Car, plus encore que dans un tournoi classique, vous devrez lutter pour deux impératifs contradictoires :

  • l’impératif de monter des jetons le plus vite possible pour atteindre le ticket rapidement
  • l’impératif d’éviter l’élimination, le « risque de trop » pris au mauvais moment.

La bonne nouvelle est d’abord que comme vous êtes chip-leader ou quasi de votre table, il vous reste deux vies alors que vos adversaires n’en ont qu’une seule, comme dans les jeux vidéos. Vous pouvez perdre un duel à tapis mais rester vivant, contrairement à votre adversaire qui sera mort s’il le perd.

Ensuite, cette période spéciale va voir s’installer une série de moves suicidaires de la part des petits tapis, qui n’ont plus rien à perdre puisque tellement loin de l’objectif qu’ils vont tenter le tout pour le tout. A vrai dire, c’est même cette attitude qui va donner le « la » de ce sprint. En bonne situation, ce sera à vous d’agir.

Par exemple, le cut-off a fait all-in préflop avec un tapis de 10% de l’objectif, et vous êtes au big blind avec un tapis de 70% de l’objectif. Votre range de call ici sera relativement large : 35% à 50%. D’abord parce que le relanceur est aux abois, donc il a une range d’environ 75%, ensuite parce que le risque financier est réduit : en cas de perte, vous serez à 60% de l’objectif, donc toujours en bonne posture.

Vous pouvez obtenir une range de 35% contre cet adversaire en privilégiant les mains faites et les As et les Rois, avec cette range simplissime à mémoriser :

--> PP, Ax, Kx

Attention ! ce n’est en rien la range GTO linéaire de 35% ! Mais elle convient pour exploiter un adversaire dont la situation catastrophique le pousse à privilégier la hauteur d’au moins une de ses cartes. Beaucoup de joueurs aux abois attaquent alors avec des mains comme J9, Q6 voire T8, que votre range domine.

Cette range représente 462 mains réelles sur les 1.326 mains possibles, soit 35% des mains possibles. C’est toujours un peu compliqué de payer avec une main comme K2o, mais comme votre range de call est plus serrée que la range d’attaque, la règle sacro-sainte s’applique, à savoir que votre equity globale surpasse l’equity adverse, ici à un taux moyen de 58% contre 42%. Ce qui veut dire que si vous payez, 58% du temps vous gagnerez 10% d’objectif, et 42% du temps vous perdrez 10% d’objectif.

Evidemment, cette configuration ne fonctionne que si vous êtes absolument certain d’être en heads-up sur ce coup – le big blind est donc la position idéale pour vous. Mais ici en satellite, le plus important est :

  • D’être favori pour prendre 10% d’objectif d’un seul coup
  • De ne pas être en difficulté si l’opération échoue. Ici, si vous ratez, vos 60% d’objectif restants ne vous handicapent en rien pour vous rapprocher de l’objectif, et vous conduisent même directement au-delà de l’objectif si vous doublez une seule fois.

Vous voyez que dans cette phase du satellite, il est indispensable de jouer en observant de très près les profondeurs adverses. Ici, vous n’allez plus glaner les pots délaissés, vous allez glaner les tapis orphelins qui sont aux abois et qui n’ont plus d’autre choix que de s’engager totalement préflop. Toujours alors, vous devez évaluer le tapis adverse qui fait une relance all-in en termes de proportion d’objectif. S’il a 15.000 et que l’objectif est de 200.000, le tapis représente 15/200, soit 8% d’objectif. Si vous gagnez la confrontation, vous augmentez votre part d’objectif de 8%, et vice-versa. C’est ce calcul-là que vous devez faire avant de décider de payer.

Une autre tactique consiste à affamer l’adversaire. Pour ceux qui pratiquent les jeux de stratégie traditionnels, elle est largement développée dans le jeu africain de l’awélé, et c'est même une des clés de la victoire. Je vous renvoie aux études en ligne de ce jeu pour en savoir plus. Moi-même, je l’avais déjà amplement évoquée dans mon livre Poker Duel consacré au heads-up. Ce principe se retrouve aussi dans L’Art de la Guerre de Sun Tsu, c’est vous dire s’il est fondamental.

Le principe de base consiste à refuser le combat tel que l’adversaire vous le propose, quand c’est sur un terrain qui l’avantage. Par exemple, quand un tapis profond (mais moins profond que vous) vous relance préflop au bouton, si vous avez une main borderline du genre 55 ou AT au big blind, vous allez simplement passer. Votre profondeur vous laisse un peu de temps, même si les tickets défilent en nombre plafonné, et l’urgence de la situation n’implique pas d’accepter ce genre de duels.

D’une manière générale :

  • plus l’adversaire est profond et plus vous devrez resserrer votre range de call
  • moins il est profond et plus vous devrez élargir vos ranges de call, en gros jusqu’à 35%-50%, comme on l’a vu précédemment.

Un autre facteur qui joue sur la range de call est celui de la position. Avec la position, élargissez ; sans la position, resserrez.

Vous ne devrez pas avoir la même attitude contre les tapis moyens que celle que vous avez contre les tapis profonds. Par exemple, si vous êtes à 70% de l’objectif et si un tapis à 30% de l’objectif semble bluffer le coup, vous aurez une fold-equity colossale sur lui. Même s’il doit encore beaucoup grossir pour atteindre l’objectif, il sait que son tapis a encore une puissance de feu donc un potentiel favorable, et il cherchera à fuir une situation devenue trop périlleuse pour lui.

Rappelons que du point de vue des ICM, vous avez moins intérêt à attaquer les petits tapis que les tapis moyens (cf. Poker Sit&Go de Jean-Paul Renoux). Les petits tapis ont une part de désoeuvrement qui leur fait accepter facilement le combat et qui réduit drastiquement la force moyenne de leurs mains engagées (on les voit couramment payer à tapis une grosse relance adverse préflop avec Q4, une main qui performe quand même à 35% face à AK, ce qui reste un assez bon deal pour doubler).

Ce n’est pas le cas des tapis moyens, qui gardent intact leur espoir de prendre leur ticket. Ils sont donc beaucoup plus prompts à fuir le combat et beaucoup moins prompts à payer un all-in qui les couvre. Il faut profiter de cet avantage contre les tapis moyens, qui conduit la plupart du temps à encaisser le pot sans abattage tant que le tapis moyen n’a pas une main prémium. Par exemple en leur mettant la pression à la turn et à la river, où ils seront faciles à expulser s’ils n’ont pas au moins deux paires.

 

Le dernier ticket

Quand arrive le moment du dernier ticket, une euphorie s’installe. Les blinds sont très hauts, et restent en lice deux sortes de joueurs : ceux qui ont appliqué une stratégie proche de l’ancienne version, donc conservatrice, et qui ont de petits tapis ; ceux qui sont larges-agressifs et qui ont survécu aux bad-beats, sans pour autant monter assez de jetons pour décrocher le ticket. Tous sont maintenant comme des chiens autour d’un seul os.

Tout ce que je peux dire sur cette nouvelle phase, c’est que la chance va dominer, mais les décisions seront aussi tranchées qu’en phase de push or fold en heads-up. La chance aura donc sa part dominante, mais celui qui appliquera sans faille les ranges GTO de push or fold aura un avantage décisif (voir Poker GTO Spin, de Jenvick Meinson).

 

Pour conclure

Il est facile d'affirmer que cette nouvelle version de satellites est idiote, comme ce fut le cas avec l’introduction du big blind ante, parce qu’une fois de plus elle rend service non pas aux joueurs mais aux organisateurs, à qui elle fait gagner du temps. Ce n'est pas mon avis, car comme dit en introduction, même si elle introduit plus de variance, elle comporte sa stratégie optimale qui rend service aux joueurs qui y ont préalablement réfléchi, et dessert ceux qui se risquent en dilettantes. Ceux qui font l’effort d’imaginer de nouvelles pistes sont récompensés, et ceux qui ne travaillent pas leur jeu et gardent une vision fermée du combat sur tapis vert en seront pour leurs frais.

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