On a tous quelque chose de "The Card Counter".

Publié le par Francois M.

Pour ce premier article de 2022, je vais vous dire bonne année en premier, et en second je vais vous parler d’un film que je viens tout juste de voir dans un cinéma associatif de mon fief, « The Card Counter ».

On a tous quelque chose de "The Card Counter".

Le titre (« le compteur de cartes ») ne pouvait que me séduire car il me ramène une trentaine d’années en arrière, du temps d’une précédente vie de pro du blackjack, carrière interrompue en juillet 1992 avec mon premier tournoi international de poker à Londres. Je vous raconterai peut-être un jour mes pérégrinations blackjackiennes. En attendant, dans ce film, j’ai cru me revoir dans la peau de l’acteur Oscar Isaac, dont le look atterrit quelque part entre George Clooney et Gus Hansen (qui aurait des cheveux).

Autant le dire tout de suite, ce n’est pas un film sur le jeu. Rappelez-vous « Casino » de Scorcese (1995), ce n’était pas non plus un film sur les casinos. Ils fournissaient le décor, et même la métaphore, mais pas le sujet du film. Ici c’est la même chose, et on peut même y voir comme une recette puisque Scorcese est justement le producteur de « The Card Counter ». On boucle la boucle.

Quant au réalisateur, il s'agit de Paul Schrader, un vieux de la vieille en la matière de suspense puisque c'est le scénariste de « Taxi Driver », « Raging Bull » ou encore de « Rencontres du Troisième type »… excusez du peu !

On a tous quelque chose de "The Card Counter".

Ceux qui regarderont le film pour le jeu seront pourtant bien servis. Ils y verront des références tantôt évidentes (« Le Kid de Cincinnati » est cité dans les dialogues), tantôt subtiles (la chambre d’hôtel du héros porte le n°101, et le n° de sa cellule est le 202, différence entre « initiation » et « perfectionnement »). On a droit comme toujours à quelques mots d’explication sur les jeux en voix off, en commençant par le blackjack (titre oblige), puis le poker (on assiste à plusieurs coups de tournoi plutôt bien amenés, en tout cas plus réalistes que – au hasard – dans « Casino Royale »), et même la roulette  (« la meilleure technique est de jouer une couleur, noir ou rouge, et si vous gagnez, vous partez, et si vous perdez, vous partez aussi » -- on a tout dit).

Les casinos fournissent ainsi la toile de fond du film, en suivant le WSOP Circuit classique (Atlantic City, Tunica, Biloxi, Panama City, etc.) avec des allusions au WSOP main event de Vegas, absent du film mais peu importe. L’ambiance est bien rendue, et comme je l’ai écrit plus haut je me suis retrouvé comme un poisson dans l’eau au milieu de ces joueurs (acteurs) plus vrais que nature que l’on revoit de salle en salle, de ville en ville, de motel en motel -- rappel à mon bref passage à Reno en août 1995, un soir de pluie chaude et sale, où « the biggest little city in the world » m’a offert mon premier motel crasseux, me montrant ainsi que ce genre d’endroit n’était pas une invention cinématographique mais une réalité quotidienne -- fermez le ban.

Mais alors, si ce film ne parle pas (ou peu) de jeu , de quoi parle-t-il ? De plusieurs choses en même temps, et pour ne pas spoiler je dirais que le poker est violent, humiliant, brillant, brutal, à l’image de ce qu’a vécu précédemment le personnage principal de violent, d’humiliant, de brillant, de brutal… et pour quoi il a fait huit ans et demi de prison… sans que le vrai responsable des faits soit inquiété. Notre homme a tourné la page, il a hérité de ces années d’acier une nouvelle manière de vivre, sans joie, sans sexe, mais avec des rites frisant la folie douce et surtout aucune envie de se venger du fourbe. Imaginez donc sa tête quand il croise le dit planqué dans une conférence sur la sécurité du gambling (tous les casinos américains raffolent de ce genre de conférence).

Whisky et p'tites pépées… mais sans les cigarettes (on est en 2021, pas en 1991).

Whisky et p'tites pépées… mais sans les cigarettes (on est en 2021, pas en 1991).

A partir de là le film connaît un tournant copernicien, car ce qui est pour notre homme un parcours « classique » de joueur de blackjack itinérant prend une tout autre forme après la rencontre d’un jeune gars qui se trouve être le fils d’un des anciens coreligionnaires du héros. Seulement voilà : le gamin veut la peau du commanditaire qui s’est fait dorer la pilule pendant que les sous-fifres blanchissaient à l’ombre.

On a toujours une revanche à prendre sur quelque chose ou quelqu’un, et c’est peut-être le message principal de ce film violent, bien joué, bien tourné, un film dont la fin est une vraie fin (il n’y aura pas de « The Card Counter 2 », c’est sûr). Contrairement à d’autres films où le jeu est juste un prétexte au début du film pour dérouler une intrigue de gangsters en seconde partie (genre « Molly’s Game »), ici le jeu est convoqué tout du long, avec des surprises de l’intrigue qui surprennent et nous font penser qu’au moins on sort des sentiers battus en terme de scénario tournant autour du jeu d'argent.

Pour nous autres pokermen, on retiendra les offres de staking (financement) faites par une joueuse habituée du circuit, femme fatale s’il en est, ou encore ces tirades à l’emporte-pièce si vraies, comme « les casinos s’en foutent des compteurs de cartes, ils se foutent de ceux qui gagnent peu, ce qui les gêne c’est ceux qui gagnent gros – donc je compte les cartes, je prends quelques billets et je me casse » -- être pro c’est faire un trait sur le sensationnel du « j’ai fait sauter le banque » qui n’a lieu qu’une fois, car après vous êtes banni de toutes les salles de jeu. Traire la vache mais ne pas la tuer, c’est la devise du pro du jeu d’argent.

Pour finir, l'affiche du film contient une petite erreur dans le nombre des cartes (on est en Texas hold'em, fini le fermé), mais vous qui me lisez la trouverez sans difficulté.

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