La belle de San Remo

Publié le par jokerdeluxe

On est dimanche matin, 14 décembre à 11h24 à San Remo, Italie, ville où à peu près tout le monde parle aussi le francais. Je vous conseille les ruelles piétonnes derrière la casino, qui mènent au marché central, où se trouvent entre autres les marchands de contrefaçons -- que je ne vous conseille pas. Le joueur Michel A.  a confessé avoir été tenté par des copies de montres de marques, mais aucune ne marchait !


J'ai sauté hier soir dans la finale du France Poker Tour en 175e position sur un peu plus de 300 au départ. Je ne pavoise évidemment pas, comme on s'en doute. Tous les détails sont dans le forum de l'EFP, ICI


Pour me venger, hier soir j'ai fait un sit and go à 17 joueurs, à 250 euros.


Pour tout dire, vers 21h j'arrive à la salle des jeux de table où je vaque avec Pib. Au bar, nous sommes abordés par la prostituée de service. Une métis superbe avec un nombril décoré et des appas portés aux nues. Elle baragouine quelque mots de français et s'intéresse follement au tissu de mon costume (il en a déjà intrigué plus d'une, je ne sais pas ce que ce costume peut avoir de spécial, si ce n'est fournir un sujet pour engager la conversation !).


En général, les casinotiers n'aiment pas ces filles car elles prennent l'argent que les clients auraient perdu sur leurs tables. Je m'étonne de sa présence ici. Quand elle marche, c'est le bateau de Loïc Peyron prenant la houle de côté. Ca balance de partout. Le pas est sûr et lent, la voix langoureuse. Quand elle traverse la salle de jeux, c'est toujours au plein milieu de la large allée, souriante et insouciante. Je me pose la question de savoir si ce ne serait pas plutôt une joueuse décavée qui cherche un sponsor d'un soir.


Quand j'écumais les casinos européens, alors pro du blackjack au début des années 1990, j'ai croisé des dizaines de ces joueuses à l'air perdu. Elles demandent juste quelques jetons pour jouer à la roulette, c'est tout. Mais on les trouve surtout en fin de séance, vers deux heures, pas trop vers 21 heures. Bref, je plante Pib avec elle. Il me rejoint ensuite, et j'apercois la fille qui attaque un autre joueur au bar. Elle cherche à faire la mascotte, et en général elle trouve.


En attendant que la table de sit and go ne démarre, je m'asseois au blackjack pour me rappeler mon âge d'or. On est 3 à jouer, je fais une fin de sabot, une douzaine de mains. Je touche deux blackjacks et je perds seulement deux fois. Mais je n'ai plus le goût, et heureusement me dis-je, car je dilapiderais mes gains du poker systématiquement comme des joueurs US le font à la table de craps.


Quand le poker commence, je me lève avec 40 euros de pris.


Seuls 5 Français participent, le reste étant des Italiens, braillards pour la plupart. Mike Caro adore les tables braillardes, ce sont celles où les joueurs se concentrent le moins (voir son argumentaire complet dans le livre « Poker Super System »). Moi aussi. Egalement celles où les rancoeurs s'installent entre les participants, suite à des relances qu'ils n'auraient jamais dû faire, des coups de chance qu'ils n'auraient jamais dû avoir et des sœurs cadettes qu'ils n'auraient jamais dû trousser... L'Italie, quoi.


La structure est bonne : on démarre à 25-50, tapis de 7000, niveaux de 30 mn. On est parti pour un sacré moment. Le tournoi démarre vers 22h.


Je ne vais pas détailler tous les coups, ce serait vain comme d'habitude. Un Français saute en 15e position victime d'un bad beat à l'italienne, de la race je cherche mon tirage jusqu'au bout et je le trouve. J'ai vu une tentative de l'espace : le joueur recoit 3-4 de carreau, paie une relance préflop. Au flop : A-K-10. Ouverture... PAYE. Turn 2. Check, check. River 5. Ouverture... PAYE. L'ouvreur abat K-Q, et c'est écoeuré qu'il voit la quinte backdoor de son adversaire. D'autres coups sont du même tonneau.


On sent qu'on va avoir une bonne occasion dans ces petits tournois quand, dès le départ, le joueurs s'échauffent et rentrent dans tous les coups ou presque. Ils suivent le surblind, voire une ouverture, et voient le flop. Puis tous s'égaillent sauf un ou deux, et l'heure de la crucifixion est imminente.


Vers une heure du matin, on se réunit en une seule table. A ma gauche, un joueur qui ne participe à aucun coup et qui ne dit rien. A ma droite, idem. L'un finira cinquième et l'autre deuxième. Mais si ce sont des Italiens d'état civil, ce n'en sont pas de comportement.


A un moment donné, une vive discussion éclate à propos d'un bluff bien senti qui a fini par fonctionner. Le bluffeur a cru bon d'abattre sa main, l'autre est parti dans une chaude tirade excitée. Comme toujours, les autres se sont mêlés à l'altercation auxquels nous autres Français nous ne comprenions rien, spectateurs muets de ce vacarme insensé.


Mon jeu est simple : j'évite les attaques de début de parole et je n'attaque qu'en fin de parole avec une grosse relance, et jamais en bluff. Le bluff viendra plus tard. Je peux dire que je suis parti une dizaine de fois à tapis et que j'en ai perdu seulement deux. Une seule fois j'étais outsider préflop à l'abattage. J'ai éliminé quatre joueurs au total, qui tentaient un tirage ou qui n'avaient pas senti mes deux paires ou mon brelan. Je n'ai jamais gagné avec quinte ou couleur... parce que je n'ai joué que les paires et brelans.


Le dernier Français (à part moi) quitte le tournoi en quatrième place et gagne 380 euros. J'ai su ensuite qu'il s'agit du célébrissime Eric Larcheveque. S'ensuit une bataille rangée à trois, avec des blinds 800-1.600 antes 200. J'ai 37.000 de tapis, donc pas encore aux abois. Mais je ne vois rien venir, même pas un As. Je vole le pot deux fois au surblind.


Puis m'arrive 9-6 au surblind. J'ai 30K, les deux autres tapis sont 35K et 55K. Le gros suit, l'autre passe (un bon joueur à casquette qui sait quitter un coup pour se préserver - pas étonnant qu'il finisse dans les places payées). Arrive le flop 9-A-6 tricolore. Je sens qu'il a touché quelque chose : les As peut-être. Je checke pour le piéger. Il ouvre à 1600, le minimum. Que veut-il faire ? S'il avait touché gros, il devrait checker aussi logiquement. Bon, mon rôle change soudain : pour l'attirer dans mon piège, je dois jouer les voleurs et envoyer le tapis, et tant pis si je ne gagne que le pot actuel, de toute façon il finance presque deux tours de blinds, c'est toujours bon à prendre. J'envoie donc le tapis. Payé. Il retourne Q-Q, mais je suis largement devant lui avec mes deux petites paires. La turn scelle mon destin : un As qui lui donne deux paires supérieures aux miennes, et la river ne sera pas le 6 ou le 9 qui m'aurait sauvé. Je termine troisième à 2h50 et je recois 770 euros des mains du directeur de la salle poker (qui, soit dit en passant, a le look d'un truand sorti d'un film de Sergio Leone). J'en laisse 20 pour le personnel. Le reste paiera mes frais.


Tournoi éprouvant car je ne pensais pas le jouer si tard. A l'hôtel Europa, en face du casino, que je vous conseille (l'un et l'autre d'ailleurs), le veilleur de nuit ronfle, affalé sur le comptoir. Je passe derrière lui dans le privé, décroche moi-même la clé, et dans ma chambre, m'endors en lisant une interview de David Benyamine. Désolé David, c'était seulement parce que j'étais cassé, avec le sentiment du devoir accompli.


Publié dans Mes tournois

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